16 août 2021. Je suis seule dans sa chambre, la soirée remonte à trois jours. J'ai vaguement échangé avec mes ami.e.s sur le sujet, aucun ne valide mon copain, tous le trouvent détestable, pas aimable, froid, distant, et surtout bien trop exclusif. Tous me demandent d'expliquer mon choix, ce je lui trouve, s'il n'est pas là pour oublier celui avec lequel je voulais vraiment être un mois et demi auparavant. Tous me font remarquer que j'aurais pu m'en sortir autrement, que ça n'aurait pas été mon dernier chagrin d'amour (et tous avaient tellement, mais alors tellement raison).
Je me demande alors si je ne suis pas en train de faire une bêtise. C'est ce jour-là, ce dimanche, qu'en faisant ma valise pour le lendemain après-midi, je me pose pour la première fois la question de la rupture. Peut-être n'aurai-je pas dû réfléchir plus. Quoiqu'il en soit j'éloigne ce soir-là ces considérations de mon esprit, boucle ma valise avant de la défaire une troisième fois, de changer d'avis sur ce que j'emporte, de tout retirer, de tout refaire et de la refermer, cette fois-ci pour de bon. Je place la valise derrière ma porte, vérifie encore une fois que rien ne manque dans ma boîte à violon, referme la boîte elle aussi, réfléchit encore une fois à ce qui peut manquer. Enfin, je me tranquillise, fais un essai raté de méditation, et vais me coucher, me glissant sous les draps pour ne pas dormir avant dans au moins deux heures, je le sais déjà mais peu importe, mieux vaut essayer.
*
Et le lendemain, je descend mes valises jusqu'à la voiture, j'ai hâte comme chaque année à cette date depuis maintenant quatre ans, je monte en voiture, choisis la musique et regarde s'effacer derrière moi la ville plate que j'habite depuis ma naissance, et la montagne s'étaler devant moi, synonyme de paix, de liberté, d'un bonheur pur et intense.
Les kilomètres défilent au compteur, les paysages changent peu à peu à travers la vitre, les virages s'enchaînent. Je passe ce village que je connais si bien, m'engage sur la route sinueuse qui m'emmène toujours plus loin, toujours plus haut, et finis enfin par dépasser le panneau qui m'annonce que ça y est, j'y suis. Je m'engage sur la pente qui m'emmène vers le bas, me gare, et ai à peine le temps de sortir mes bagages que déjà des bras m'enserrent. Je suis arrivée, mes ami.e.s sont là. Je les embrasse un à un, jusqu'à ce garçon aux yeux clairs qui se tient en retrait dans l'entrebâillement de la porte, et qui, à ce moment-là de l'histoire, n'est encore pas si important. Je salue d'un geste de la main celui que j'admire tellement et qui, à ce moment-là de l'histoire, n'est pas encore l'ami que je ne voudrai plus quitter.
Et y a-t-il vraiment quelque chose à ajouter de ce début de semaines ? Comme chaque année les jours s'enchaînent, un, deux, puis trois et on en est déjà au quatrième. Les heures de musiques aussi défilent, on monte un programme, on rit beaucoup, on s'attable toujours au même endroit et à la même heure et les conversations vont bon train, on parle fort, on s'attaque sur des sujets idiots, des querelles qui au font n'existent pas vraiment mais il faut bien s'embêter un peu pour se dire qu'on s'aime, non ? Les sourires s'échangent, les regards, les gestes, les mots, toutes ces choses anodines. On se moque un peu de l'absent qu'on trouve justement trop présent, trop amoureux au bout du fil, qu'il me laisse vivre un peu enfin je suis en vacances, je me dis, entourée de tous ceux que j'aime plus que quiconque, ce groupe que je me suis créé et dont je suis certaine de ne pouvoir jamais m'en défaire.
Mais tandis que l'absent, le trop amoureux au bout du fil, est l'objet de blagues, qu'on s'en moque un peu, gentiment promis, un autre, lentement, semble prendre la place qui lui est due. Se glisse dans mon cœur, et je ne le vois pas, puis le vois, et le laisse faire, et c'est là que je commets sans aucun doute l'erreur de trop... La première erreur de trop.
Et tandis qu'il continue à sourire, lui, que les regards s'intensifient, que l'amitié se soude, que les mots s'envolent, les remords s'envolent avec, disparaissent dans l'air frais de la montagne, la musique les prend avec elle.
*
Vient le dernier jour, puis le départ, puis les jours passent et a lieu un soir chez un ami en commun une première réunion. L'amoureux n'est toujours pas là, l'autre lui est bien présent. Et l'alcool est servi, et resservi, et délie les langues, et des mots sont dits. « Dans deux jours on en parle plus », je lui dis. « Il le sais », j'ajoute, ce qui est absolument faux. C'est que je doute, que je me dis que mon histoire devrait peut-être finir maintenant, que je me suis trompée de romance, qu'un autre me mérite peut-être plus, et que je mérite mieux. Je compare les sourires et les battements de cœur que l'un et l'autre me causent.
Cette soirée raisonnera longtemps sous mon crâne. Des mots que j'aurais aimé retenir, des sentiments que j'aurais mieux fait de garder pour moi, silencieux, de les étouffer. Car c'est ce soir-là qui sera décisif pour mon année.
D'autre part, c'est ce soir-là, au détour d'un verre, attablés dans la salle à manger, aux alentours de deux heures du matin, que je me décide à assumer ma volonté de faire de la musique ma vie, et d'aller en classe préparatoire simplement pour m'assurer un diplôme.
Ensuite, c'est là que je m'autorise à entretenir un petit peu mes sentiments. Bien sûr, lorsque je les avoue, j'espère sincèrement que ça passera, que ce n'est un soucis que passager, que tout va bien, qu'il n'y a pas à s'inquiéter. Mais lorsque je les avoue, je les rend aussi concrets, existants, je me les autorise. Ils ont le goût interdits des erreurs de jeunesse, ces sentiments que je murmure entre deux verres, à l'arrière de la maison, plongée dans l'ombre, comme on chuchote un secret qui doit se savoir mais pas trop, juste assez pour se souvenir du goût délicieusement piquant de cet été-là. C'est l'été de mes 17 ans, le dernier été avant l'âge adulte, et je m'autorise un temps à être, encore un peu, une enfant.
Et pourtant, cet été-là est bel et bien mon premier été d'adulte. Un été qui aura des conséquences sur l'année suivante et certainement sur le reste de ma vie.
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Trop plein
Non-FictionL'art du témoignage est un art compliqué. C'est choisir de faire entrer le public dans son intimité. Raconter une agression sexuelle, parce que c'est ce que je vous raconte dans ce livre, c'est presque pire. Je vous demande de plonger avec moi dans...