Entracte

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Se replonger dans ses évènements. Est-ce vraiment une bonne idée ? J'ai commencé à écrire ce livre en juillet. J'avais conscience qu'il m'était arrivé quelque chose, je voulais le raconter. Mais je crois que je n'avais pas encore tout à fait saisi ce qu'il s'était passé.

L'art du témoignage est un art compliqué. C'est choisir de faire entrer le public dans son intimité. Raconter une agression sexuelle, parce que c'est ce que je vous raconte dans ce livre, c'est presque pire. Je vous demande de plonger avec moi dans des souvenirs qui sont brumeux pour ma part, et j'ai peur de vous. Peur que parmi vous tu sois là, toi qui est responsable de ce qu'il s'est passé. Peur que parmi vous toi aussi tu sois là, toi qui a voulu lui casser la gueule et qui ne te rend pas compte que tu es presque pire. Et que tu sois là, toi aussi, toi qui n'est responsable de rien et la cause de ce trop plein, de cette décision d'écrire, parce que tu es l'origine de cette fatigue si grande qu'aujourd'hui, alors que je devrais considérer que tout va bien dans ma vie, j'ai laissé errer mon regard dans le vide pendant deux heures avant de prendre la décision d'écrire, de reprendre ce roman où je l'ai laissé il y a plus de trois mois maintenant.

En juillet je ne savais pas encore à quel point c'était grave, ce qui m'était arrivé. A quel point c'était terriblement commun, à quel point cela devait me changer, considérablement altérer ma confiance en moi, en l'autre, en l'avenir de mes relations. Pour faire court, car je redirai tout cela plus tard, j'ai été hospitalisée récemment et c'est en partie de la faute de ce qui est arrivé l'été dernier. J'ai peur aussi, parce que j'ai envie de demander à quelqu'un d'être mon petit ami et que j'ai réellement peur de la sexualité, et la culpabilité que j'ai ressenti à l'époque de priver mon conjoint de sa vie sexuelle je la ressens de nouveau, moi qui devrait pourtant constater que celle qui en est le plus souffrante c'est moi.

Je relis ce que j'ai écris il y a trois mois. C'est assez... c'est presque amusant de constater à quel point ces mots sont justes. Je me replonge dans ces mots qui se replongent dans l'état qui a dû être le mien, qui est du moins le souvenir que j'en ai. Je n'ai qu'une peur : ne pas être tout à fait honnête. C'est vrai, au cours de ces pages et des suivantes vous avez maintes et maintes fois l'occasion de lire que je le sentais, que je savais que quelque chose n'allait pas, que j'avais conscience que ce n'était pas normal, que je l'avais vu venir. En réalité, je crois que je refuse de m'avouer à moi-même que je n'en avais absolument aucune idée. Je me connais ; plus d'une fois, je me suis vue quitter une relation, en ayant conscience qu'elle n'était pas pour moi, sans remords.

Qu'est-ce qui m'aurait fait rester dans une relation dangereuse pour moi, si ce ne sont des œillères sur le réel danger, sur le fait que je ne pouvais pas, que je ne devais pas rester, que cela allait avoir des conséquences terribles sur ma vie ? J'avais conscience qu'il ne serait pas celui qui m'accompagnerait pour toujours, au fond de moi je savais même que d'ici la fin de l'année scolaire il y avait de grandes chances que ce soit terminé. Alors pourquoi être restée ? Simplement parce que je me détestais moi-même d'avoir ces pensées : je n'avais pas conscience qu'il me faisait de mal, j'avais conscience du fait que je lui en faisais. C'est même pour lui que je l'ai quitté, pour lui épargner de souffrir (pauvre chaton...) que je suis partie. J'en aimais un autre, j'en avais conscience et c'est seulement le jour où j'ai compris que je ne faisais rien pour que ça change que je suis partie.

Ainsi quelque part je suis responsable : pour moi je l'ai trompé, pour moi j'ai trahis la confiance qu'il avait en moi, et cela faisait de moi une personne terrible, qui n'avait aucune légitimité à dire qu'elle souffrait. Aucune légitimité... Vraiment aucune ? Vraiment aucune. Après tout, moi j'étais celle qui lui faisait du mal, celle qui avait fauté. Je n'avais pas d'expérience sexuelle, il a été la première, alors je me disais que je m'y prenais mal, que j'étais trop prude, trop timide, que c'était de ma faute bien sûr. Une culpabilisation dont je ne me sors pas aujourd'hui, malgré ce que j'écris. Je me donne le beau rôle, à affirmer que je suis victime, qu'il est le pire des hommes, mais la vérité c'est que je me sens encore coupable.

Je me fais rire, à relire ces mots où j'affirme que je savais, à me donner les airs d'une femme qui se dit d'elle-même "pauvre enfant, tu ne savais pas à l'époque, ma pauvre chérie tu n'es responsable de rien, vas, reconstruis-toi, le monde est odieux et ne te mérites pas" mais en réalité, c'est si peu ce que je pense ! Je ne veux pas ici être victime, je veux être honnête. Moi victime, je suis un peu ma propre agresseuse. J'ai refusé de le reconnaître et je le refuse encore mais je sais que c'est là, dans mes phrases, je sens que ça émerge.

De quoi, dans toute cette histoire, ai-je le plus souffert ou souffrirai-je le plus ? Je dois reconnaître que je n'en sais rien. Est-ce de la honte de ne pas avoir dit non, et de ne pas supporter ce statut de victime qui me colle à la peau en me persuadant que je n'ai pas fait tout ce qu'il fallait pour y échapper ? Est-ce peut-être l'emprunte physique qui ne quittera jamais ma poitrine, mes cuisses, de ces mains et de ces lèvres qui s'y sont trouvées et dont le souvenir ne partira jamais ?

Peut-être est-ce la blessure profonde dans ma chair qui me crie "détends-toi, oublies, tu te bouffes et tu me dévores avec en y repensant". Peut-être est-ce le discours qui veut que ce soit de ma faute, ou celui qui me répète que ça ne l'est pas et qu'il faudrait que je me le mette dans la tête une fois pour toutes.

Trop pleinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant