Je dois me souvenir de ce sentiment. Je dois me rappeler la peur. Je dois réaliser maintenant que je vis dans l'illusion depuis trop longtemps. Je ne suis pas aussi dorée que je pensais l'être. Je suis enflammée, passionnée, convaincante, directe, intéressée, intéressante, puissante. Oui, lorsque l'on parle d'une logique que je comprends, je suis toute ouïe. Je suis un flot de paroles. A l'inverse, quand il s'agit de répliquer à une phrase comme : j'ai trop mangé de beignes, je ne rentre plus dans mon pantalon, quand il s'agit de nettoyer un café qui a débordé, quand il faudrait que je demande si on a besoin de moi dans un casque d'écoute, je suis paralysée. Ma voix se tarie. Je fige. J'ai peur. Je ne reconnais pas le nom de la boisson sur le tableau de commande. Panique. Horreur. La restauration rapide est sans pitié pour les mauvais. Je veux démissionner avant qu'on me renvoie. Ce vieux demon qui refait surface. La peur de tout. La peur de l'humain, la peur de tous mes mots enfouis en moi. Peur que ça surgisse et que ça blesse. Le silence est plus prudent. Je ne dit rien. Je creuse une tombe de silence. Les autres ne peuvent pas savoir ce qu'il se cache derrière mon mur de silence. Ils peuvent seulement ressentir ma peur, ma panique. Mon manque d'assurance me fait honte. Je voudrais bien le cacher lui aussi. Hélas ! Je ne peux pas cacher que je suis démunie. Je vois les autres interagir et moi je n'ai rien à dire. Aucune question ne me vient. Aucune curiosité face aux machines et aux boissons à faire. Juste cette peur qui m'isole et qui contrôle tous mes mouvements. L'envie de fuir devient violente, urgente. Je veux effacer les traces de mon passage. Je veux m'effacer pour de bon. Je veux démissionner. Je souhaite ne jamais oublier ce sentiment d'intense mal être. C'était si bon de se sentir en vie. Comme une plante vivace. Accrochée à la vie, désespérément. Et maintenant, le vide de l'anticipation que cet échec laissera dans son sillage sur le fil de mes futures pensées.
