Les beaux cheveux bouclés de Stockholm baignaient dans son sang, des larmes avaient séché sous ses yeux entrouverts, son expression était parfaitement figée dans la douleur et la peur, et Reykjavík eut énormément de mal à garder sa respiration calme. Son cœur battait trop fort, ses yeux la brûlaient, elle voulait s'agenouiller près de Stockholm, rechercher et attiser la plus petite et illusoire étincelle de vie, mais au lieu de ça, elle devait garder ses distances, rester de marbre.
« T'aurais vu ça, commença alors Gandía avec un sourire mauvais, avec le seul sourire qu'il semblait maîtriser. Elle avait l'air complètement stone, son mec gueulait son nom à s'en péter la voix – si tu veux mon avis il a jamais crié aussi fort quand il la baisait –, en même temps il essayait de nous retenir, mais il était le seul à pouvoir tirer alors ça a très mal fonctionné ! J'te jure, entre Denver qui essayait de récupérer sa meuf, elle qui tanguait comme si elle venait de se siffler deux caisses de vin, Tokyo qui chialait et la dernière qui traînait Tokyo en arrière en criant aux autres de reculer, ça ressemblait plus à une comédie qu'à une manœuvre de retrait ! »
Gandía avait accompagné son récit d'un rire gras et moqueur, et il arborait à présent un sourire satisfait, le canon de son fusil d'assaut appuyé négligemment sur son épaule. Aucun doute, il exultait, sa joie était comparable au bonheur d'un archéologue après la découverte d'un squelette complet et en parfait état d'un vélociraptor. Reykjavík pensait que le trou cerclé d'un mélange de sang coagulé et encore frais au niveau de la gorge de Stockholm était l'œuvre de Gandía, ou tout du moins qu'il aurait aimé être celui qui avait porté le coup fatal à l'employée de la fabrique nationale de la monnaie reconvertie en voleuse. Ce type était parfaitement abject. Il avait un égo surdimensionné, mais visiblement pas la moindre dignité. Il serait prêt à décimer la moitié de l'humanité si cela pouvait lui permettre de soigner sa fierté blessée, ou même si cela était susceptible de lui assurer que quelques uns des survivants gardent une haute estime de lui.
Ne se sentant pas capable de soutenir plus longtemps le regard de l'antipathique chef de la sécurité sans au mieux le frapper, Reykjavík se détourna de lui et commença à contourner le corps inerte pour faire comprendre que sa surprise était passée et qu'elle était de nouveau tout à fait opérationnelle.
« Je t'ai pas demandé un résumé, l'agrafé », dit-elle au passage sans regarder Gandía.
Gandía tiqua, mais Sagasta ordonna que le commando reprenne son avancée, et le groupe déjà amputé de quatre membres quitta la pièce. Reykjavík ne s'était pas accordé le droit de regarder une nouvelle fois le corps sans vie de Stockholm, elle craignait de perdre le contrôle si elle le faisait. Elle n'avait pas connu Stockholm pendant aussi longtemps que la plupart des autres braqueurs, mais elle avait tout de même eu le temps de remarquer la gentillesse et la joie qui émanaient de cette jeune mère. En plus, Reykjavík s'entendait très bien avec Denver, et elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer la douleur et le désespoir qui déchiquetaient actuellement son cœur. Reykjavík aurait voulu rester un peu auprès de Stockholm, fermer ses yeux pour que le vide qui planait dans ses iris n'absorbe pas un peu plus du monde autour d'eux, elle aurait voulu s'octroyer le droit de verser quelques larmes en souvenir de cette femme sympathique et pétillante, mais au lieu de ça, elle sortit du grand bureau avec les militaires qui venaient de tuer Stockholm, sans un regard en arrière, le cœur bientôt rempli de plus de colère que de tristesse.
La pluie tombait sans discontinuer depuis une bonne heure, et le sol poussiéreux s'était alourdi, s'imprégnant d'une partie de l'humidité qui s'était déversée brutalement du ciel lourd. Les gouttes d'eau étaient pourtant trop nombreuses pour que la terre absorbe tout, et le trop plein de pluie dévalait la pente depuis le promontoire où se tenait le monastère. Les filets d'eau se croisaient, se rejoignaient dans des sillons de terre et de roche plus profonds, jusqu'à créer de véritables petits torrents par endroits, jusqu'à donner l'illusion de cascades qui plongeaient vers la vallée en contrebas. Étonnamment, les nuages qui plombaient le ciel laissaient passer une bonne partie des rayons du Soleil, et l'atmosphère était chargée d'une douce lumière orangée, une lumière comme sablonneuse, une lumière presque sanguinolente bien que le crépuscule soit encore bien loin.
Assise en tailleur sur un grand rocher, emmitouflée dans un poncho mauve, Reykjavík profitait de ce spectacle depuis plusieurs minutes déjà. Rien ne dépassait de la toile imperméable, mais la femme immobile finirait sans doute malgré tout par avoir froid tant la pluie était glaciale. Le vent ressemblait plus à une brise légère qu'à des rafales, ne déviant la trajectoire des gouttes d'eau que de quelques degrés lorsqu'il se levait. Ainsi, la capuche de Reykjavík restait pratiquement immobile et ne la gênait pas dans sa contemplation.
Un léger clapot attira l'attention de Reykjavík, et elle tourna la tête pour apercevoir Stockholm qui s'approchait, parapluie en main et sourire bienveillant aux lèvres. Ses pas sur le sol imbibé et recouvert d'une épaisse pellicule d'eau produisaient un faible son de ventouse, et la blonde aux cheveux bouclés commença à parler lorsqu'elle se trouva à environ cinq mètres du rocher occupé par la femme sous le poncho mauve.
« Reykjavík ? Qu'est-ce que tu fais là ?
— Je regarde et j'écoute la pluie. Et toi ?
— En passant devant une fenêtre j'ai vu une tache violette, j'ai voulu venir voir qui était là, répondit Stockholm en s'arrêtant à deux mètres de Reykjavík.
— Eh bah c'était pas un gros dragibus, c'était moi, fit la blonde aux yeux gris avec un sourire. Pas trop déçue ? »
Stockholm eut un bref éclat de rire, bouche fermée, puis elle prit place à côté de Reykjavík sur le rocher.
« Tu vas finir par attraper froid, mit-elle en garde sa camarade.
— Peut-être, mais ça en vaut la peine, répliqua doucement Reykjavík en tournant de nouveau le regard vers le paysage.
— Ah oui ? À ce point ?
— Hmm. J'aime beaucoup les rivières et les cascades. Là c'est un peu comme si j'assistais à la création de nouveaux cours d'eau. Tu sais, quand j'étais petite je voulais faire du canoë-kayak en compétition, je harcelais mes parents pour partir en week-end dans des coins où on pouvait en faire dans des rivières agitées.
— C'est vrai ? demanda Stockholm avec un sourire dans la voix, le sourire qui signifiait qu'elle se représentait une Reykjavík d'une dizaine d'années en train de traîner l'un de ses parents vers un canoë-kayak dans un magasin de sport.
— Oui, j'étais vraiment à fond. Mais j'étais pas douée. Je prenais trop de risques en plus, je me suis cassé un coude dès ma deuxième compétition, alors mes parents m'ont interdit de continuer le canoë autre part que dans une rivière dont le courant ne suffise même pas à entraîner les poissons. »
Stockholm rit une nouvelle fois, plus franchement, et Reykjavík tourna la tête vers elle, sortant sa main gauche de sous son poncho juste le temps de poser son index sur ses lèvres.
« Mais tu dis rien aux autres hein ? » fit-elle en souriant.
Tout sourire, Stockholm leva sa main droite pour prendre un air plus solennel, et elle promit :
« Je serai muette comme une tombe. »
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Une Partie de Loups-garous dans la banque d'Espagne - La Casa de Papel
Fiksi PenggemarChiara s'apprêtait à entrer dans la Banque d'Espagne avec une unité des forces spéciales. Leur mission ? Déloger les braqueurs qui mettaient à rude épreuve les nerfs de la police de tout le pays. Elle se remémorait les consignes les plus importantes...