8. L'insupportable Gandía

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« Tokyo ! lança Gandía en laissant traîner les voyelles. Un petit oiseau m'a dit que Nairobi te réservait une place au paradis ! »

De façon assez prévisible, l'instant d'après, Tokyo brisa l'une des lucarnes de la porte de la cuisine, et elle ouvrit le feu en direction du commando, qui se dispersa rapidement pour se mettre à couvert. Reykjavik se retrouva du côté de Gandía et d'Arteche, et au signal de Sagasta, les militaires ripostèrent, contraignant Tokyo à cesser le feu pour s'abriter à son tour. Ce même motif se répéta plusieurs fois : tirer, s'abriter lorsque les adversaires répliquaient. Reykjavik était accroupie un peu plus loin derrière Gandía, et elle se contentait de reculer rapidement d'un pas lorsque les tirs reprenaient depuis la cuisine. Elle profita d'un de ces moments où elle devait se mettre à couvert pour recharger son arme, et comme elle pensait qu'elle était assez loin de ses faux ennemis, juste avant de se saisir de l'un des chargeurs pleins accrochés à sa combinaison rouge, elle enclencha le brouilleur d'un geste discret et rapide. Parmi ceux qui avaient Reykjavik dans leurs champs de vision périphériques, personne ne pouvait se douter que la blonde aux yeux gris avait fait autre chose que recharger.

« Arteche, lança finalement Sagasta depuis l'autre côté. Détruis cette porte ! »

La militaire prépara alors les munitions qu'elle portait pour le moment autour de son épaule, et elle attendit la riposte de son camp pour se placer face à la porte de la cuisine et commencer à la mitrailler. Les balles déchiquetèrent le bois très rapidement, et il ne fallut qu'une dizaine de secondes pour que la porte ne cède tout à fait. Cependant, dans la cuisine, deux silhouettes se protégeaient derrière une épaisse plaque métallique et tentaient de la soulever pour l'appuyer contre l'entrée de la pièce pour la bloquer. Le poids de la plaque et la force des impacts des tirs les en empêchaient pourtant, jusqu'à ce qu'un poulet cru n'atterrisse à un mètre à peine d'Arteche.

« Grenade ! » hurla le pyromane après une seconde d'incrédulité.

Arteche fut donc contrainte de cesser le feu et de s'écarter rapidement du poulet cru. Reykjavik l'imita et recula suffisamment pour ne pas prendre de risques. Accroupie et abritée, elle eut la surprise de voir que le militaire qui avait donné l'alerte s'était approché du poulet cru fourré à la grenade au lieu de tenter de s'en protéger. Il extirpa la grenade du poulet et attrapa une des goupilles attachées à son uniforme, puis, d'un geste tremblotant, il désarma l'arme explosive. Le stress passé, il recommença à rire de son rire de dément et lança vers la cuisine : « Hé, les cuistots ! La prochaine fois, mettez-la dans un fromage ! »

Son rire s'éternisait, donnant l'impression d'être devenu incontrôlable, et alors qu'elle se relevait lentement, Reykjavik songea que cet homme était une preuve vivante que la folie était loin d'être incompatible avec l'efficacité. La fausse policière songea que le simple fait d'avoir envoyé cette équipe en particulier était une preuve irréfutable du dénuement des forces de l'ordre, un acte désespéré ultime avant la dépression nerveuse. Il leur fallait les meilleurs, quel qu'en soit le prix, quel que soit l'état mental des membres de cette expédition.

Afin de voir comment se présentait la suite, Gandía pencha tout doucement la tête pour voir la cuisine, mais il recula juste assez vite pour que la balle tirée vienne se ficher dans l'angle du mur plutôt que dans sa tête.

« Ils se cachent derrière la plaque de la cuisinière », lança l'homme antipathique en direction de Sagasta.

Le commandant voulait savoir plus précisément comment s'étaient installés les braqueurs, alors il sortit un couteau à la lame large et brillante, qu'il inclina de façon à voir le reflet de l'emplacement des trois cibles sans avoir à prendre le même risque que Gandía.

« Ils ont un bon angle de tir », annonça-t-il le regard rivé sur la lame.

Soudain, une balle atteignit le couteau qui chuta aussitôt sur le sol, arraché de la main du commandant.

« Et ils visent bien, ajouta alors Sagasta en secouant lentement sa main gauche, qui avait eu très chaud. Can͂izo, ici Sagasta, dit-il en appuyant sur l'appareil qui lui permettait de communiquer avec l'extérieur. Ils sont dans la cuisine, trouvez un angle de tir depuis l'extérieur. »

Reykjavik se crispa. Le « Can͂izo, vous me recevez ? » qu'elle attendait n'arrivait pas. La communication avait fonctionné. L'usurpatrice, plutôt que de tout de suite imaginer que le brouilleur était hors service, songea qu'elle était peut-être à un peu plus de cinq mètres du commandant. Alors, elle rejoignit le mur contre lequel étaient réfugiés Gandía et Arteche. Reykjavik s'appuya sur la petite table juste à la droite d'Arteche, ce qui la rapprocha légèrement de Sagasta par rapport à l'endroit où elle se tenait au moment où il avait joint l'extérieur. Reykjavik espérait que ce déplacement suffirait, mais au moins il n'était en aucune façon suspect : elle avait juste l'air d'une combattante qui, sachant qu'elle avait quelques minutes, se mettait en appui contre une table pour se reposer un peu. Jambe droite tendue, jambe gauche fléchie, elle attendait la suite avec un air décontracté.

« On balance des grenades, on défonce leur barricade et on entre en mode bulldozer, qu'ils aillent tous se faire foutre, suggéra Gandía, la voix chargée de colère et d'impatience.

— Celui qui se pointe dans ce couloir est un homme mort, le contredit Sagasta. Et on n'arrivera à rien avec les grenades, la plaque de la cuisinière est en fonte, et ils l'ont sûrement renforcée.

— Alors c'est quoi le plan ? On attend qu'il y en ait un qui sorte pour pisser ? »

Il y eut un court silence, et Reykjavik vit clairement que l'arrogance de Gandía agaçait le commandant.

« Le plan c'est qu'on va percer ce mur, répondit-il en montrant une cloison sur sa gauche, et procéder à l'incursion par la réserve.

— Ça va nous prendre au moins dix minutes, et le temps est notre seul avantage, s'invectiva Gandía encore une fois. On doit entrer avant que ceux du musée viennent nous mitrailler.

— Négatif », le contredit sèchement Sagasta.

Reykjavik se demandait comment les autres se retenaient d'assommer ou d'exécuter Gandía pour le faire taire, car elle, ça la démangeait vraiment. Elle ressentait l'appel de la détente de son fusil, elle percevait l'attraction du pistolet et l'attirance du couteau, pourtant elle devait garder son calme. Alors, pour ne pas être trop tentée, elle détourna le regard des deux militaires en désaccord. Elle resta attentive à ce qui se passait autour d'elle, mais sa tête et ses yeux étaient orientés vers le musée devant elle.

Le commandant ordonna au pyromane et à Canalejas de commencer le travail, ce qu'ils firent alors qu'Arteche lançait à son chef un sac de matériel.

« Commandant, vous avez aucune idée de ce que vous faites, intervint à nouveau Gandía.

— Capitaine, je vais vous dire ce qu'on va faire, répliqua Sagasta lentement. On va suivre mes ordres, et vous allez la fermer. »

Ennuyée par Gandía et sa suffisance, Reykjavik poussa un petit soupir et lâcha un « Pitié oui... ». Elle ne se rendit compte qu'elle avait parlé à voix haute que quand elle remarqua que Gandía avait tourné la tête vers elle, mais elle ne chercha pas à répondre à son regard, elle garda les yeux perdus dans le vague devant elle. Elle devina sans peine que Gandía aimerait profiter du fait qu'elle n'était pas d'un grade supérieur au sien pour lui demander des comptes, mais, craignant sûrement la réprobation du commandant déjà mécontent, il ne dit rien.

Une Partie de Loups-garous dans la banque d'Espagne - La Casa de PapelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant