18. Baraja Española

25 0 0
                                    

À contrecœur, Reykjavík avait rejoint Arteche et Torrecilla autour de Gandía, et elle commença en soupirant à retirer un important éclat de métal au niveau du mollet droit du chef de la sécurité de la banque.

« C'est ça, rends-toi utile Izira », réussit à articuler Gandía malgré la douleur.

Cette intervention sans aucun intérêt s'expliquait peut-être par la souffrance aiguë qui aurait rendu fous bien des gens, mais Reykjavík ne supportait pas Gandía, et elle supportait encore moins son ton condescendant et le fait qu'il l'ait appelée par son prénom – même si ça n'était pas vraiment son prénom –. Alors, la blonde aux yeux gris ne réfléchit pas, et elle renfonça brusquement d'un bon centimètre le fragment de métal qu'elle avait commencé à extraire de la plaie profonde. Aussitôt, Gandía cria et fut pris d'un sursaut de douleur qui contraignit Arteche et Torrecilla à cesser un instant de s'occuper de ses autres blessures pour ne pas risquer de l'amocher plus encore. Gandía avait à présent trop mal pour parler et il n'insulta même pas Reykjavík, mais tous les autres regards étaient tournés vers elle.

« Ortega, ne m'oblige pas à venir resserrer ton bandage, la mit en garde Sagasta.

— Mes doigts ont juste glissé ! » se défendit Reykjavík en levant ses mains pleines de sang en signe d'innocence.

Sagasta secoua lentement la tête en soufflant, pas convaincu, mais il se reconcentra sur le conduit de ventilation, allumant une torche pour visualiser au mieux les premiers mètres de tuyaux.

Reykjavík se focalisa de nouveau sur le morceau de métal dans la jambe de Gandía, à qui elle adressa un sourire satisfait en retirant enfin sèchement l'éclat.

La façon dont les muscles du visage de Reykjavík se contractèrent ainsi rappela soudain à elle le fantôme de Nairobi ; ce sourire, c'était exactement celui qu'elle avait un jour adressé à son amie disparue, alors que toute l'équipe était réunie au monastère.

 	La façon dont les muscles du visage de Reykjavík se contractèrent ainsi rappela soudain à elle le fantôme de Nairobi ; ce sourire, c'était exactement celui qu'elle avait un jour adressé à son amie disparue, alors que toute l'équipe était réunie ...

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

Nairobi était assise à la grande table dans la cour, et Reykjavík était installée sur une chaise en face d'elle. Concentrée, Reykjavík regardait attentivement ses cartes en mordillant sa lèvre inférieure, bouche fermée, mâchoires contractées. Elle tenait son jeu d'une main, et de l'autre elle jouait avec la manche gauche de son sweat bleu myrtille. Alors que la blonde aux yeux gris retrouvait une expression à peu près neutre, Nairobi songea qu'elle avait toutes ses chances de gagner. À moins d'une dizaine de mètres de là, elle entendait Denver et Stockholm rire bruyamment en compagnie de leur fils, mais cela ne la déconcentrait pas du tout. Ses possibilités de jeu restaient bien claires dans son esprit, et elle regarda Reykjavík piocher dans le tas formé par la Baraja Española qui n'était pas encore répartie dans les mains des deux joueuses.

Une fois son tour achevé, Reykjavík rabattit la capuche de son sweat sur sa tête. Le bleu tirant sur le violet de la capuche contrastait avec les cheveux blonds encore visibles et avec les deux iris gris, qui paraissaient plus clairs qu'ils ne l'étaient réellement. Nairobi retint un sourire : ce geste simple de mettre sa capuche était probablement plus le signe d'une inquiétude que d'une sensation de froid. Reykjavík avait peut-être inconsciemment mis sa capuche pour se replier un peu sur elle-même, comme se recroqueville un enfant contrarié. La blonde laissa sa manche tranquille, et l'extrémité de son index gauche commença à dessiner des formes abstraites autour de son pouce. Nairobi l'avait déjà vue faire, par exemple quand le Professeur l'interrogeait sur une partie du plan qu'elle ne maîtrisait pas encore bien, ou lorsque Sergio soulevait des points particulièrement risqués du rôle que la blonde aux yeux gris allait devoir jouer. Cela ne fit donc qu'accroître la certitude de Nairobi : c'était clair, Reykjavík était en difficulté.

« Dis, Reykjavík ? fit soudain Nairobi pour capter l'attention de son adversaire éphémère. On fait un pari ? Celle qui perd la partie devra aller mettre un poisson dans le lit du Professeur. »

La blonde au sweat bleu avait relevé les yeux vers Nairobi, et elle la fixait en silence avec un air perplexe. L'air de quelqu'un qui savait qu'on essayait de la lui faire à l'envers.

« Allez, l'encouragea Nairobi. C'est juste un poisson ! Me dis pas que t'as peur !

— OK OK, céda Reykjavík en balayant les remarques de la brune d'un mouvement de la main.

— Super ! »

Nairobi sourit et défaussa une carte avant d'en prendre une nouvelle dans la pioche, mais à sa grande surprise, Reykjavík posa ses cartes sur la table, faces visibles. Sidérée, la brune face à elle regarda les cartes et se rendit compte que Reykjavík, contrairement à ce que son attitude laissait penser, avait un super jeu. Un jeu meilleur que le sien.

Une fois ses cartes posées, Reykjavík releva les yeux vers Nairobi, et sa mine déconfite fit place à un sourire satisfait, réjoui, fier, heureux peut-être même.

« Que..., commença Nairobi sans comprendre.

— Tu viens de te faire avoir ! » fanfaronna joyeusement Reykjavík en tapant du plat de ses mains sur la table.

Toujours capuche sur la tête, la blonde se leva et effectua un dab, ravie. Nairobi restait assise, encore choquée par ce qui venait de se produire.

« Mais..., objecta-t-elle. T'as bluffé alors que y avait encore aucune mise !

— Parce que j'avais anticipé que tu pourrais vouloir parier quelque chose si tu pensais gagner ! T'as voulu profiter de ma faiblesse et ça c'est moche ! Je t'ai tendu un piège et t'y es tombée tête la première ! Alors, dis-moi, qu'est-ce que tu vas choisir comme poisson ? » la provoqua Reykjavík.

Après un grognement de rage, Nairobi jeta l'une de ses cartes sur Reykjavík, qui récupéra quelques cartes sur la table pour riposter en riant.

« Qu'est-ce qui se passe ici ? Pourquoi ça crie plus que d'habitude ? »

Le professeur était sorti dans la cour, et il s'approcha de la table alors que Stockholm et Denver regardaient la scène en souriant.

« Reykjavík a triché ! se plaignit alors Nairobi en montrant son amie du doigt.

— Hé c'est même pas vrai !

— Même si c'est vrai, c'est pas une raison pour se jeter des cartes dessus ! tenta de les résonner le nouvel arrivant.

— En plus c'est pas vrai, répéta Reykjavík un peu plus bas. Hé ! »

La nouvelle carte que venait de lui lancer Nairobi avait heurté son front avant de rejoindre une autre carte par terre. Reykjavík récupéra alors la défausse sur la table pour pouvoir contre-attaquer, et Nairobi s'empara des restes de la pioche.

« Non ! voulut s'interposer le Professeur. Vous arrêtez ça ! Ou alors vous les ramasserez et vous les compterez une par une pour être sûres que vous n'en avez pas perdu ! »

Mais les deux femmes étaient déjà en train d'échanger les tirs de cartes et les éclats de rires, pas du tout impressionnées par les réprimandes du professeur.

Quelques minutes plus tard, Nairobi et Reykjavík étaient à nouveau assises autour de la table, mais cette fois elles étaient occupées à compter les cartes qu'elles venaient de ramasser. Elles souriaient, sous l'œil attentif du Professeur qui surveillait les deux éléments perturbateurs du moment, les bras croisés. Alors qu'elle échangeait des regards amusés avec sa camarade de jeu, Reykjavík ne songeait pas que cette bataille de cartes était la première et la dernière qu'elle effectuait avec la complicité de Nairobi.

Une Partie de Loups-garous dans la banque d'Espagne - La Casa de PapelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant