II

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Lord Alexander Sky, 17 janvier 3261, 11h34, Eglise de Swanfield

Après des semaines à être restée à l'arrière, pour ne pas avoir à s'asseoir à côté de nous, tante Alexandra s'est assise au premier rang à ma gauche. Elle ne m'a pas adressé un mot de plus que ceux que la politesse lui imposait jusqu'à la fin de l'office.

- Que nous vaut le plaisir de votre compagnie, tante Alexandra ? demandé-je alors que nous empruntons le chemin de la sortie.

- Je crois avoir le droit de connaître les enfants de mon neveu, répond-elle le plus calmement possible.

Violet me tient encore la main et je sais qu'elle écoute attentivement cet échange, même si elle n'en a pas l'air.

- Ma chérie, va nous attendre dehors avec maman et Lord Simon. (La petite me lâche la main et s'en va en cachant à peine sa déception.) C'est seulement maintenant que vous demandez à mieux les connaître ?

Elle se tourne franchement vers moi.

- Eh bien, la première fois que je les ai vus à la messe, j'ai bien cru que tu avais réussi à faire des bâtards dans le dos de notre famille, c'est bien ton genre d'ailleurs. Mais, je me suis dit qu'après tout la ressemblance pourrait venir de la famille de ta mère, je sais qu'elle avait une sœur bien plus jeune qu'elle, serait-elle morte, seraient-ce là ses enfants ? Maintenant, j'attends que tu dises qui ils sont.

Je nie d'un mouvement de tête, et je crois voir ses yeux sortir de leurs orbites.

- Ni l'un, ni l'autre. Violet et Colin viennent d'un orphelinat à quelques vingtaines de miles d'ici.

- C'est pire que tout ce que je pouvais imaginer...

Que pouvais-je espérer venant d'elle ?

- Peu importe si cela vous plaît ou non, aujourd'hui, ils sont des Sky, au même titre que vous et moi. Mes héritiers et mes enfants avant tout.

Je crois qu'elle est à deux doigts de vomir.

- Bien, dans ce cas, je suppose que tu pourrais m'autoriser à passer la journée avec vous, pour mieux faire la connaissance de ma famille.

- Ecoutez, je ne sais même pas pourquoi je vais vous accorder cela, peut-être est-ce pour qu'il se rendent compte dès maintenant qu'ils feraient mieux de ne plus vous approcher. Enfin bref, je vous autorise à venir déjeuner et passer l'après-midi avec nous, mais je vous préviens, la moindre parole déplacée et vous ne serez même plus autorisée à fréquenter la même paroisse que ma famille. Alors, vous feriez mieux de tout simplement vous taire.

Elle déglutit avant de hocher la tête. Nous sortons de l'église. En nous voyant, Rose agrippe les mains des enfants pour les serrer contre elle.

- Tante Alexandra va déjeuner avec nous ce midi, dis-je en essayant de paraître confiant.

Rose me fusille du regard, Simon semble intrigué, Violet ravie d'avoir une nouvelle personne à décortiquer et Colin est bien trop absorbé par la petite rosace au fronton de l'église pour prêter attention à la nouvelle.

- Vous avez de la chance, qu'il nous ait fallu deux calèches pour venir. Vous monterez avec moi.

14h, Arclif

La seule personne à avoir osé prendre la parole durant le repas a été Violet, elle n'a cessé de poser tout un tas de questions, parfois même parfois ridicules, à Alexandra qui a répondu promptement et froidement sous les yeux ébahis de toute la table.

Le dessert terminé, la vieille femme repose sa cuillère, lève les yeux, son regard passe sur toutes les personnes présentent.

- Bien, je pense que je vais y aller. Merci pour le repas.

Tout le monde se lève pour saluer notre invitée.

- Je vais vous raccompagner jusqu'à la porte, dis-je.

Nous quittons la pièce, traversons le couloir, descendons les escaliers dans un parfait silence. Nous nous arrêtons devant la porte d'entrée, le temps que l'on rapporte le manteau d'Alexandra.

- Alors êtes-vous satisfaite ?

- Je suppose que je n'ai pas le droit de faire de remarque sur l'éducation de celle que tu appelles ta fille, grommelle-t-elle.

Le majordome arrive avec le manteau dont elle se vêtit.

- Non, en effet, vous n'en avez pas le droit.

- Bien, dans ce cas, je te dis au revoir, Alexander.

Elle passe la porte et s'avance vers la voiture.

- Au revoir.


Je retourne dans la salle à manger où tout le monde attend calmement mon retour. Je me rassois sous le regard assassin de Rose.

- Pourquoi, l'avez-vous invité ?

- Elle voulait rencontrer les enfants, j'ai pensé que je ne pouvais pas lui interdire cela.

Je l'entends grincer des dents. Je crois qu'elle préférerait voir Alexandra morte qu'à côté de ses enfants.

- Eh bien ?

- Eh bien, elle me déteste, je l'ai lu dans son regard, intervint Violet avec sa voix d'enfant si sûre d'elle.

Sa mère la dévisage, je hoche la tête en souriant du coin des lèvres.

- Elle a raison. Nous ne sommes pas près de la revoir ici, je crois bien que cela pourrait avoir été la dernière fois.

Rose soupire, un peu plus soulagée. Mais je peux voir qu'elle m'en veut encore, elle semble vraiment détester ma tante plus que personne, je crois que c'est également mon cas.

- Bien, et si nous allions nous promener un peu. Nous devrions un peu mieux faire découvrir les environs à Lord Simon, dit Rose.

- J'en serai ravi, répond l'intéressé.


Nous empruntons un sentier au milieu de la forêt, je le parcours depuis que je suis né. Rose marche devant, elle tient la main de Colin qui n'arrête pas de trébucher dans de petits trous qui parsèment le chemin. Je marche entre Violet et Simon.

- Violet, Lorsque nous nous sommes rencontrés, Miss McGee m'a dit que ton anniversaire est en janvier, mais que la date indiquée sur tes papiers d'identité n'était pas exactement la bonne, je me trompe ?

- C'est mon père qui est allé déclarer ma naissance, mais ma mère m'a dit que ce jour-là, il était soul, comme toujours, et qu'il a pas été capable de dire depuis combien de jours j'étais née. Enfin bon, elle aussi a fini par oublier donc...

Elle haussa ses minuscules épaules en soupirant.

- Et, qu'aimerais-tu avoir pour tes huit ans ?

Ma question la surprend, elle lève la tête vers moi avec un petit sourire déçu.

- J'aimerais savoir monter à cheval, mais, il est déjà trop tard.

- Bien...

- Mais je veux pas monter en amazone comme toutes ces petites princesses parfaites, moi je veux être libre de mes mouvements ! En plus, je suis sûre que c'est pas confortable.

- Rose saurait mieux répondre à cette question que moi, réponds-je en souriant.

Elle lève les yeux vers sa mère et s'interroge quelques secondes.

- Je vais la rejoindre, mais je suis sûr que je ne lui parlerai pas de ça, elle risque de trouver cela mal élevé.

Je me mets à rire et Rose se retourne.

- Elle s'habituera bien vite, tu verras.


LordsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant