XII

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Lord Alexander Sky, 3 janvier 3260, 22h45, Opéra d'Hastrye.

Lord Hartfield ne m'a pas adressé la parole depuis le jour de l'an, et je ne fais pas semblant de ne pas savoir pourquoi. Il a détourné le regard à chaque fois que je voulais le capter et il s'est arrangé pour éviter de me croiser dans les couloirs. Pourtant, il prend étrangement soin de toujours laisser la porte ouverte entre nos deux bureaux, comme un pour me dire « Je suis désolé, je ne vous oublie pas, mais je ne peux pas faire plus. ». Je crois que ce signe me fait plus de mal que de bien, il me donne l'impression que les sentiments qu'il pourrait me porter me glissent entre les doigts comme de l'eau. Ô, comme je le déteste.

***

La représentation vient de se terminer. J'ai senti son regard sur moi tout au long du ballet, pourtant lorsque mes yeux ont essayé de croiser les siens, il les a détournés. Alors, tout l'intérieur de mon corps à hurler.

Comme extérieur à la situation, j'observe les spectateurs se lever un à un pour quitter la grande salle de spectacle. Je reste assis et, lorsque je le vois passer devant moi, je ne peux retenir les larmes qui se mettent à couler le long de mes joues. Jamais on n'a vu un gentleman pleurer en public, mais jamais non plus, on n'en a jamais vu un en aimer un autre, je suis l'exception à toutes les règles.

Rapidement, la salle se vide, je reste seul à contempler la scène abandonnée, comme si je contemplais mon propre cœur. Ici, j'ai l'impression que le temps s'est arrêté, que je suis là pour faire face à mes sentiments. Mais soudain, une voix me sort de ma mélancolique contemplation.

― My Lord...

Je ne détourne même pas la tête, je ferme les yeux, priant pour que cette voix reparte comme elle est venue.

― Sir, je suis désolée, mais je dois vous demander de partir, la salle va fermer.

Je soupire et me lève. Alors, je découvre la personne à qui appartient cette voix, c'est une jeune employée, elle doit à peine avoir quinze ans pourtant, elle se trouve là, à travailler. Elle semble hésiter à me faire remarquer quelque chose, alors elle se met à fouiller dans les poches cachées dans les plis de sa robe pour en sortir un mouchoir et me le tendre.

― Merci.

― De rien, sir, dit-elle en souriant timidement.

J'essuie rapidement mes larmes avant de lui rendre le morceau de tissu.

― Désolé pour le dérangement, dis-je alors que je suis déjà presque parti.

J'arrive dans le hall d'entrée, tout le gratin de l'aristocratie Hastryenne s'est rué sur les danseurs, qui ayant appris la venue de la reine, sont venus pour lui présenter leurs hommages. Je préfère donc rester en haut de l'escalier à attendre que la foule se dissipe, en ce moment l'isolement me va bien.

Sans m'ennuyer, je passe une trentaine de minutes à observer à quel point le comportement humain peut être étrange et intrigant. Il ne reste alors plus beaucoup monde dans le grand hall, je peux apercevoir la reine en train de discuter avec un homme qui m'est inconnu. Je descends rapidement les marches pour me diriger vers eux, à ce moment, j'interromps leur conversation sans me soucier du fait qu'elle semblait si bien engagée.

― Ah, Lord Alexander ! s'exclame mon amie.

Je me tourne vers son interlocuteur pour qu'elle me le présente.

― Je vous présente Mr. Rupert Avery, il faisait partie des danseurs ce soir, dit-elle alors que je la dévisage déjà.

Mais oui, c'est évident avec qui d'autre pourrait-elle parler avec autant de familiarité dans un opéra ? Elle répond à mon regard par un petit sourire faussé par l'appréhension de mon avis sur sa décision de le revoir. Alors, je hausse les épaules, je me fiche bien de ce qu'elle fait de son corps, je veux juste qu'elle soit prudente, comme elle l'a elle-même dit, son mari pourrait la tuer sur-le-champ s'il venait à apprendre cette liaison.

LordsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant