Chapitre 6 : Edward

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Suite à ma requête, mes parents se sont contentés de se regarder avec étonnement sans prononcer un mot.

Au contraire, mon colocataire de chambre ne manque pas de marquer sa surprise lorsqu'il remarque que je ne suis pas seul à entrer dans la chambre.

Et pour cause, à chacune des journées de visite, ma famille et moi restons dans la salle commune, assis à une table en échangeant des banalités autour de sujets divers tels que la météo ou l'évolution de Britney qui désormais commence à former quelques phrases et connaît toutes ses couleurs. Nous avons toujours pris soin d'éviter les sujets douloureux comme le décès de Thaïs ou le fait que je ne fasse aucun progrès de semaine en semaine.

Même si mes parents tentent tant bien que mal de cacher leur déception, je le ressens dans leurs regards, dans leurs paroles ; je remarque à chaque réunion avec les psychologues l'espoir briller dans leurs yeux et ce même espoir qui s'effondre lorsque les professionnels répètent les mêmes mots que d'habitude : « Malgré ses efforts, nous estimons qu'Edward n'est pas encore apte à retourner chez vous de manière définitive. Nous tâcherons de faire de notre mieux afin que votre fils puisse au moins revenir quelques temps chez vous pour une période d'essai ».

De ces mots retenez que les psychologues sont soit hypocrites, soit trop gentils. Ils dissimulent des informations derrière d'autres. Je ne fais aucun effort que ce soit durant ou hors les séances. Je ne dis pas un mot mis à part les salutations par pure politesse ou bien les échanges de banalités avec mes amis. D'ailleurs, la deuxième phrase contredit la première. Il est compréhensible de se dire que si je ne peux même pas retrouver ma famille pour quelques jours ni même quelques heures, c'est que je n'ai fait aucun progrès depuis le départ et que ma situation est loin d'avoir évoluée.

Même si cela ne se remarque pas au vu de l'absence de mes efforts, cela me brise le cœur. Je n'ai qu'un seul objectif, pouvoir quitter cet hôpital afin de retrouver toute ma famille, chez moi, dans ma maison... Retrouver la vie d'un adolescent normal, comme les autres, pas celle d'un « fou interné » comme certains le pensent sans doute... Retrouver ma vie à moi...

La prochaine réunion entre mes parents et les professionnels n'aura lieu que le mois prochain. D'ici là, je vais tâcher de faire de mon mieux pour m'améliorer afin que l'étincelle d'espoir qui se dresse chaque fois dans les yeux de mes parents devienne une étincelle de joie et de bonheur intense.

Il est vrai que ce n'est pas gagné d'avance, que je vais devoir fournir beaucoup d'efforts mais je suis certain d'y arriver. Pour mes parents qui eux aussi sont tristes d'avoir perdu non pas un mais deux enfants. La première est partie rejoindre les étoiles et le second est coincé loin d'eux dans un hôpital psychiatrique d'où il ne fait rien pour s'en sortir. Mais je dois surtout le faire pour moi-même. Je me sens capable de combattre mon mal-être et de faire mon deuil. Il le faut ! Pour cela, je vais devoir parler, me confier, pleurer s'il le faut ! Mais ce qui est sûr, c'est que je ne relâcherai plus jamais mes efforts et que mes bras resteront levés.

Je reste dans l'entrebâillement de ma chambre, ne sachant pas quoi faire, mes parents derrière moi. Baptiste, qui remarque mon hésitation, s'excuse auprès de sa famille et s'approche de mes parents avec beaucoup d'assurance. Il s'écrit d'un ton enjoué : « Bonjour ! Bienvenue dans l'antre de votre fils ! Je suis Baptiste, son hôte... ou plus communément appelé son colocataire ! Je vous en prie entrez ! »

Je ne peux empêcher un ricanement de sortir de ma bouche et je remarque qu'il en va de même pour mes parents.

Dès qu'il remarque Britney, mon compagnon de chambre, beaucoup plus à l'aise et habitué que moi avec les enfants, s'approche de celle-ci, lui fait une révérence et proclame d'un ton enfantin mais sérieux : « Mais comme vous êtes jolie mademoiselle dans cette robe de princesse ! Accepteriez-vous donc de me la faire essayer ? », conclut-il avec un clin d'œil. Ma petite sœur éclate d'un rire franc mais prononce tout de même un « Non, à moi » catégorique ! Peu importe à quel point Baptiste aime la tenue de Britney, il ne pourra pas la porter ! Ses vêtements, c'est sacré !

« Excusez-nous, Baptiste est toujours comme cela ! On pourrait penser qu'il est fou ou bien sans éducation mais c'est loin d'être le cas ! C'est simplement un jeune homme rempli d'énergie et d'amour ! s'excuse Bruno, le père de Baptiste.

- Oh mais ne vous excusez pas ! Votre fils est adorable avec notre petite Britney et cela est bien beau à voir, ça fait chaud au cœur ! s'exclame ma mère.

- Et n'oublions pas cet accueil magistral ! » continue mon père.

Nous rions tous de bon cœur et cela me fait un bien fou.

La journée est passée à une très grande vitesse ! Après avoir ri toute la matinée, nous sommes allés tous ensemble déjeuner. Le repas proposé était des escalopes à la crème et des haricots verts ce qui a engendré une crise de la part de Britney qui voulait absolument manger des pâtes. Baptiste, très calme et patient a réussi non seulement à la calmer mais surtout à la faire goûter sous le regard ébahit de mes parents ! Par ailleurs, ma petite sœur a insisté pour s'asseoir au côté de mon colocataire de chambre ! J'ai été très heureux de voir que mon meilleur ami, celui que je considère comme mon frère a été autant apprécié par ma famille, mais, d'un autre côté, je me suis senti un peu jaloux... Comment a-t-il fait pour que Britney l'apprécie autant et ait confiance en lui aussi rapidement ?

Après le repas, Baptiste et sa famille ont souhaité se retrouver un peu seuls tous ensemble. Nous sommes donc partis chacun de notre côté. Britney a sauté dans les bras de mon ami et l'a embrassé sur la joue. Ce dernier l'a serrée contre lui et lui a chuchoté « À très bientôt princesse ».

Ma mère a proposé que l'on se rende dans le salon convivial afin de faire une partie de jeu de société. Après mure réflexion, nous avons choisi le UNO afin que Britney puisse jouer avec nous, mais, elle a refusé et a préféré jouer avec les voitures et le garage miniatures laissés à disposition pour les enfants. Cela ne nous a pas empêché de nous amuser et de nous retrouver comme nous ne l'avions jamais fait auparavant.

À seize heures, le directeur annonce que c'est l'heure du départ. Toutes les familles s'enlacent, y compris la mienne. Cependant, quand je m'apprête à m'approcher de Britney pour la saluer elle aussi, celle-ci s'éloigne de moi et me regarde d'un air sévère.

Ma mère, qui remarque la détresse dans mes yeux gronde légèrement ma petite sœur en lui expliquant qu'il est nécessaire de dire au revoir car c'est impoli de ne pas le faire, qui plus est lorsqu'il s'agit de son frère. D'un air coupable, Britney acquiesce puis, me regarde avec dégout, et prononce un « au revoir » rapide avant de me tourner le dos. Mes parents me prennent une dernière fois dans leurs bras en me souhaitant bon courage et en me félicitant pour mes progrès, pour la première fois depuis que je suis interné ici.

Lorsqu'ils passent le palier, chacun avec une main de Britney dans la leur, la faisant voler par moment, un vide m'envahit. Mais ce que je ressens surtout, c'est un immense bonheur qui ne m'avait pas submergé depuis longtemps. C'est alors que je me suis rendu compte que je n'avais pensé ni à Thaïs ni à l'accident depuis que mes parents étaient là. Si je me suis senti coupable au premier abord, je me suis remis à sourire en me convainquant que c'était normal, que c'était le début du progrès. Le début de la fin d'une longue phase de deuil. 

Seconde chance (1er jet / EN PAUSE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant