Chapitre 9 : Judith

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J'ai passé un très agréable moment avec Baptiste et Edward au petit-déjeuner. J'ai été très surprise et touchée de l'intervention d'Edward lorsqu'il m'a saluée. J'étais arrivée à leur table dans le but de tisser des liens avec lui mais plus je m'approchais, plus les paroles de ma mère me revenaient en tête et plus mon courage et ma détermination s'envolaient. J'ai pensé que c'était peine perdue, mais il semblerait qu'Edward ait lui aussi décidé que ce serait une bonne idée que nous apprenions au moins à nous connaitre. Le temps nous dira par la suite si nous sommes faits pour nous entendre.

Aujourd'hui, j'ai rendez-vous avec ma psychologue, Patricia Martins, pour ma séance quotidienne. Étonnamment, j'apprécie passer du temps avec elle. C'est une personne naturelle, compréhensive et qui ne se permet jamais de juger qui que ce soit. Je ne connais aucun interne qui n'aime pas cette femme. Elle fait de son mieux pour nous donner les meilleurs conseils, toujours avec le sourire et parfois même avec une petite touche d'humour qui nous permet de nous sentir à l'aise.

Quand j'arrive devant la porte, j'entends des cris et des pleurs. Je me demande ce qu'il se passe, et, quand la porte s'ouvre, je me fais bousculer par Elena, qui quitte le cabinet en larme. J'aimerais la suivre pour la réconforter et lui demander ce qu'il ne va pas mais je ne peux pas louper ma séance sous peine d'avoir des problèmes. Je me contente alors de l'appeler. Elle se retourne, me regarde, et pour la première fois chez elle, je remarque un brin de haine qui se dresse dans ses iris marrons. Je ne sais pas pourquoi ni ce que j'ai bien pu lui faire, mais je me sens coupable. Je n'ai pas le temps de réfléchir davantage car Patricia Martins m'appelle pour que je la rejoigne à mon tour dans le cabinet.

« Bonjour Judith, je t'en prie, installe-toi. » me propose-t-elle, comme à son habitude le sourire aux lèvres.

Mais cette fois, je ne peux empêcher ma curiosité d'agir.

« Que s'est-il passé avec Elena ? je demande sans prendre le temps de saluer ma psy et encore moins de m'asseoir.

- Je suis désolée Judith mais je suis tenue au secret professionnel, tu sais très bien que je ne peux rien te dire

- C'est mon amie, je devrais avoir le droit de savoir ce qu'il lui arrive ! je commence à m'énerver

- Écoute Judith, je ne peux pas me permettre de te délivrer ne serait-ce qu'une partie des informations au sujet d'Elena. Si nous sommes ici aujourd'hui, c'est pour parler de toi. Concentrons-nous là-dessus, puis, tu iras la rejoindre tout à l'heure, tu pourras lui poser toutes les questions que tu veux à son sujet, et elle y répondra si l'envie lui prend.

- Hum, d'accord », je capitule.

Toutefois, durant toute la séance, je me sens ailleurs, je pense à Elena qui est sûrement seule, en train de pleurer dans son coin.

« Judith, tu es avec moi ? Ne te tracasse pas pour Elena, je suis sure qu'elle va déjà mieux.

- O-Ou-oui, désolée. Je vous écoute.

- Alors dis-moi Judith, quel était ton poids ce matin ? »

La séance a continué ainsi durant une heure. Je lui ai donné mon poids qui l'a, comme d'habitude, fait grimacer. Elle a continué avec un petit sermon que je connais par cœur. Oui, j'ai encore perdu du poids, oui je risque d'être nourrie par sonde nasale, oui il se peut que les visites et tout autre contact avec ma famille soient annulés. Mais je n'y peux rien, je suis incapable de me nourrir. Mon corps me dégoute, je me dégoute.

Lorsque je quitte enfin le cabinet après ma séance, un sentiment de soulagement m'envahit. J'ai l'impression d'y être resté une éternité ! Je ne réfléchis pas plus, je cours dans le salon convivial pour retrouver Elena. Avec surprise, je ne l'y trouve pas. C'est pourtant son endroit de réconfort favori, elle me l'a avoué à plusieurs reprises. Ses mots me reviennent en tête : « Si un jour tu remarques que je vais mal, sache qu'il y a beaucoup de chance pour que tu me retrouves ici ! » Un mauvais pressentiment s'empare de moi. Je tremble, j'ai peur, je sens une boule dans ma gorge qui me donne envie de pleurer, je crains un début de crise de panique. Je respire et essaie de me reprendre. Elle a simplement besoin d'être seule, elle doit certainement être dans son dortoir étant donné que sa colocataire de chambre passe toutes ses journées dans le jardin jusqu'au couvre-feu de vingt-heures.

Je décide de me rendre dans ma chambre pour me poser. Tant pis si je dois me prendre les remarques de Sofia, j'ai besoin de me coucher dans mon lit. Comme je m'y attendais, lorsque je passe la porte du dortoir, les iris vert d'eau de ma colocataire me regardent de travers, se demandant probablement pourquoi je suis déjà là. En temps normal, je l'aurais ignorée, mais aujourd'hui, mes nerfs manquent de me lâcher à tout moment.

« Écoute Sofia, je ne suis pas d'humeur aujourd'hui donc laisse-moi simplement me poser devant un livre dans mon lit, mets de la musique à fond, insulte-moi, peu importe, mais arrête de me regarder ainsi, ça me dérange et je ne supporte pas d'être dérangée quand j'ai le moral à zéro.

Elle hausse les sourcils et laisse échapper un rire. Génial. Non seulement elle ne me prends pas au sérieux, mais en plus elle se moque de moi. Elle remet ensuite sa musique, qui heureusement ne me dérange pas contrairement à ce qu'elle semble penser. Au contraire, elle m'aide à me concentrer et à m'évader, et j'en ai bien besoin en ce moment. J'espère vraiment qu'Elena va bien...

Aux alentours de dix-neuf heures, Sofia arrête son enceinte et quitte notre chambre, sans un mot. Je prends la décision de ne pas me rendre à la cantine. Déjà, je suis convaincue que l'odeur de la nourriture aura raison de mon état et me fera vomir, et en plus, je n'ai pas la force d'affronter une conversation avec qui que ce soit. De toute façon, je suis persuadée qu'Elena ne sera pas là. Je vais avoir des problèmes, je le sais, mais ce n'est pas le moment de penser à cela. Demain sera un autre jour pour les mauvaises nouvelles. De toute façon, même si je m'étais rendue au réfectoire, je n'aurai rien mangé comme à mon habitude, j'en ai marre d'essayer de faire des efforts, dans tous les cas ça ne fonctionne pas et je serai nourrie par le nez, donc à quoi bon ?

C'est après avoir passé plusieurs heures à me retourner dans mon lit que je finis par m'endormir, la tête pleine de mauvaises pensées qui concernent mon futur ici, et l'attitude étrange d'Elena. Pourquoi autant de haine dans son regard envers moi ? Qu'est-ce que j'ai bien pu faire encore ? Quoi que ce soit, je m'excuserai dès le lendemain en cours.

Seconde chance (1er jet / EN PAUSE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant