4 janvier 2022

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– 02h25

Cher W,

Il est reconnu que l'être humain nécessite plusieurs besoins vitaux : l'air, la nourriture, l'eau et le sommeil. Je crois qu'à chaque être humain s'ajoute quelque chose en plus, une nécessité pour vivre. Quelque chose d'unique. Pour moi, c'est l'écriture.

Je suis une fille de l'art. Je suis pianiste, chanteuse, photographe et ex-modèle. J'aime toucher à tout. J'ai fait de la sculpture, je dessine à mes heures perdues, je danse seule quand le monde ne me regarde pas. La lecture est un passe-temps aussi, l'un des plus incroyables qui soit, mais ce qui fait que je suis moi, c'est l'écriture.

Quand j'étais petite, je ne jurais déjà que par les livres. A neuf ans, je commençais mes premiers pas dans l'écriture. La réécriture d'une histoire de chair de poule qui m'avait beaucoup marquée. Au collège, j'écrivais sur des feuilles éparses, au stylo bille, et mes heures de permission étaient mes moments préférés. Tout le monde parlait, s'envoyait des papiers, séchait. Moi j'écrivais. J'ai même créé mon propre livre sur la forme à l'époque. J'avais dessiné la couverture, découpé des feuilles de papier format poche, et relié l'objet. Je rêvais de tenir mon propre livre entre mes mains.

Au lycée, j'écrivais toujours, déjà bien portée dans la romance. Epopée fantasy ou l'héroine tombe dans les bras de l'insupportable mais néanmoins rigolo coéquipier. Enemies to lovers forcés de collaborer. La même année naissent Steeve et Travis, du même âge que moi à l'époque. J'ignore encore que les bouts de leurs aventures tracés sur feuilles volantes, en cours de français, et lus clandestinement par mes voisines de table (toujours en cours de français) seront un jour lu par plusieurs centaines de personnes. Oh, je sais bien que dans le vaste monde de l'édition, plusieurs centaines sans atteindre le millier, ce n'est rien. Mais pour une lycéenne de 16 ans qui se cherche, qui interroge le monde, qui vit son quotidien flanquée d'un personnage lui-même écrivain, c'est énorme. Travis et moi sommes d'accord là-dessus.

Et puis vint l'errance. A tous niveaux. J'étais une élève modèle. Pas la première de classe, mais aimée des professeurs. Je faisais mes devoirs, je ne trichais pas, je ne me prenais pas d'observations, je ne faisais le cancre qu'à la récréation. Mais je ne faisais pas de vagues. Mes bulletins se cantonnaient à « bavardages » et « devrait un peu plus participer à l'oral ». J'ai obtenu mon bac littéraire à 17 ans, sans mention, parce que « j'en ai rien à branler d'vos mentions. A quoi ça sert ? »

A rien. Et même si j'adorais certains cours, depuis la quatrième, il faut dire qu'apprendre par cœur des évènements, des dates, des formules ne m'intéressait guère. Déjà ma rationalité l'emportait. J'étais la reine du « mais à quoi ça me servira plus tard ? » Réponse de moi à moi : à rien ma grande !

Même mes cours de philosophie qui, à mon grand damne, se bornaient à retranscrire mot pour mot la pensée des autres m'insupportaient. (quel intérêt me vaut de réciter les paroles des autres si je ne peux donner la mienne ?)

Bref. J'eus mon bac sans grand effort. Je me souviens avoir esquivé les sorties et balades, asociale que je suis, sous prétexte de réviser. Je révisais mon imagination, à la grande rigueur. Mes parents n'en ont jamais rien su.

C'est après que les choses se sont corsées. Quand j'ai atterri en IUT à seulement 17 ans, avec pas la moindre idée en tête de ce que je voulais faire de mon avenir. Je pensais toucher la liberté du doigt, mon premier appartement, des études (du droit) plus ciblées. A la place, j'ai touché du doigt l'anorexie et j'ai cohabité avec la dépression un peu plus longuement.

Je n'avais plus le temps d'écrire, ni le goût. Je me détestais. Mais je me souviens qu'à travers toutes mes douleurs, la pire était celle d'avoir perdu mon statut d'auteure. Car à l'époque, de mes 17 ans à mes 23 ans, je n'écrivais que des bouts de texte épars. Même pas de roman. Des bouts d'émotions, des nuances d'âme. Je jetais ça sur word, n'ayant jamais été une grande fan de journal papier. Voilà tout. Et malgré la présence fantomatique de mes personnages, malgré le fait qu'ils vivaient toujours en moi, coincés indéfiniment au même âge, je n'avais plus la sensation d'être une auteure. Parce qu'une auteure écrit. Tout simplement. Et je n'écrivais pas.

Le temps d'un esprit - journalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant