Dans un article consacré au Premier Congrès des Ecrivains et Artistes Noirs, Alioune Diop écrivait : << Nos cultures nationales comme la culture européenne veulent, pour le salut de l'homme, que les races et les peuples dominés se libèrent politiquement >>'.
Il est en effet difficile de soutenir qu'un régime reposant sur l'exploitation économique et la falsification historique (en l'occurrence le régime colonial) puisse favoriser l'épanouissement des cultures noires et leur donner une dimension à la mesure du monde moderne. Les raisons en sont diverses et d'abord politiques : Pour qu'une autorité étrangère s'exerce avec le maximum d'efficacité sur le peuple soumis, pour que l'ordre nouveau garantisse la récolte du butin, rien ne doit subsister de ce qui donnait à ce peuple une conscience nationale. C'est ici qu'interviennent les << théoriciens >> de la colonisation dont la tâche sera de << folkloriser >> l'Afrique, de substituer à ses valeurs profondes des représentations pittoresques et vaguement effrayantes tout au plus susceptibles d'intéresser une poignée de spécialistes.
_______________________________
* Ce texte est paru dans la revue Présence Africaine, nº XXIX (décembre 1959-janvier 1960).
1. Article publié dans Le Droit de Vivre, Oct. 1956.« Mais, s'écriera le « libéral » européen flanqué de a nègre-alibi, vous retardez ! Vous vous attachez à pourfendre un régime qui est partout dépassé... Il s'agit aujourd'hui de contribuer à la création d'un nouvel humanisme eurafricain... ». Dépassé ? Voire !... En Guinée où l'on s'attaque sans contrainte à la décolonisation intégrale, oui Mais ailleurs ? Là où règne l'Entente, par exemple ? En vérité il s'agit plutôt de noyer le problème de l'indépendance nationale dans de prétendus ensembles égalitaires et fraternel où le << protecteur >> continuera en fait à imposer son nationalisme et sa culture au « protégé ». Hypocrisie donc que de parler de symbiose des civilisations, de profits réciproques dans une communauté dont les universités ignorent jusqu'au nom de nos grands penseurs et passent sous silen ce l'histoire de nos empires. Seuls peuvent s'en accommoder les tenants d'un cosmopolitisme culturel habillé d'oripeaux exotiques.
N'insistons pas. « Présence Africaine » a suffisamment dénoncé cette caricature de coopération pour qu'il ne soit pas nécessaire d'y revenir. Notre propos est ailleurs.
Il est de montrer, à travers l'exemple guinéen, que seule la souveraineté politique totale peut, en libérant les initiatives, hâter l'évolution générale de l'Afrique.
Le fait est là, aveuglant.
Si aujourd'hui la République de Guinée peut << retourner aux sources culturelles et morales de l'Afrique, réintégrer sa propre conscience, se reconvertir dans ses pensées et dans ses actes aux valeurs, aux conditions, aux intérêts de l'Afrique >> c'est parce qu'aucune pression extérieure, aucun haut fonctionnaire lié au système colonial n'ont les moyens de l'en empêcher.______________________________
2. Extrait du rapport de doctrine et de politique générale présenté au 5 Congrès du P.D.G. par le secrétaire général du Parti, Sékou Touré (14-17 sept. 1959).En prenant, il y a un an, son indépendance, la Guinée a cessé d'être une chose ballottée sous la férule paternaliste ou brutale du colonisateur. Elle s'attelle désormais à la construction de nouvelles structures et entreprend de liquider définitivement le complexe d'infériorité créé par un enseignement faussé à la base.
Cet enseignement reposait sur une sorte de manichéisme à la fois naïf et dangereux : D'un côté l'Occident, tout imprégné d'art, de culture, de traditions morales élevées ; de l'autre une Afrique repliée dans son << asile de barbarie >>, en proie aux luttes intestines et que vient sauver la paix européenne. Pour se convaincre qu'il n'y a dans ces lignes aucune trace d'exagération, il suffit de se reporter à un quelconque livre d'histoire à l'usage des petits Africains.
C'est à cette interprétation trop commode du monde que s'est attaquée la République de Guinée en mettant en place, dès les premiers mois de l'indépendance, une commission chargée de la réforme de l'enseignement.
Après un examen critique approfondi de la conception et de l'orientation de l'Enseignement colonial, les responsables s'attachèrent à donner aux programmes scolaires un contenu qui permette à l'Africain de se réhabiliter à ses propres yeux et de regarder enfin le monde non plus à travers les jugements égocentriques du colonisateur mais à partir de réalités objectives.
Désormais dans les écoles guinéennes, les hauts faits historiques ne seront plus le monopole de l'Occident. Celui ci cesse d'être le centre du monde et l'Asie se voit attribuer une place de choix. Les grandes révolutions du XXe siècle, soviétique et chinoise, prudemment escamotées dans les anciens programmes, retiendront toute l'attention qu'elles méritent et les civilisations d'Afrique Noire, ses réalisation politiques, sociales et culturelles seront étudiées en priorité. De plus, et c'est là un fait capital, l'enseignement des langues africaines devient obligatoire.
En littérature, bouleversement identique dans le classement des valeurs. Cela s'avérait d'autant plus nécessaire que la méthode jusqu'ici employée consistait à encombrer les programmes d'auteurs de troisième ordre qui n'avaient même pas le mérite de représenter le courant progressiste de la pensée européenne et à faire avaler à toute allure au jeune Africain une montagne de textes étrangers à sa sensibilité et aux besoins de notre temps.
En rompant avec « l'ordre » colonial, la nation guinéenne a du même coup éliminé le danger de cette sorte de littérature qui, pour reprendre l'expression d'un critique français, ne pouvait être « à l'école qu'une série d'anecdotes et dans l'actualité l'inutile pleureuse des métaphysiques mortes ». Débarrassée du fatras des habiletés formelles et des obscurités sournoisement entretenues, la littérature joue enfin pleinement son rôle qui est d'abord de formation et de contribution au progrès humain. C'est ainsi qu'une large place est accordée aux Encyclopédistes, au romantisme social, aux poètes et romanciers, de quelque nationalité qu'ils soient, qui ont, par leurs ceuvres, lutté contre l'injustice et témoigné en faveur de la dignité humaine. L'accent est également mis sur les auteurs noirs d'expression européenne qui animent la lutte anti-impérialiste et entretiennent dans l'esprit des jeunes étudiants le sens de la responsabilité personnelle et le goût du libre examen.
Il s'agit donc d'une véritable révolution qui s'étend d'ailleurs aux disciplines scientifiques et qui, en liaison avec la planification de l'économie guinéenne, donnera naissance à un type nouveau d'Africain lié à son patrimoine culturel et ouvert aux apports extérieurs les plus féconds.
On objectera que l'indépendance ne résout pas magiquement tous les problèmes, qu'il faut se garder d'un optimisme béat et des tentations de l'isolement. Nous répondons que c'est la colonisation qui faisait de l'Afrique un terrain de chasse gardée, que c'est elle qui isolait l'Africain de son milieu naturel et du reste du monde. L'indépendance de la Guinée ne fabriquera certes pas d'une façon automatique génies et chefs-d'œuvre mais elle a créé les conditions d'un libre développement de la pensée. Elle permet aujourd'hui à un candidat au baccalauréat de soutenir dans une dissertation et sans craindre l'ajournement toutes les idées considérées hier encore comme subversives. Si l'on veut bien se représenter les méfaits d'une auto-censure qui, dans les pays encore dominés, brise, plus sûrement que les lois, l'élan créateur de l'individu, on ne peut nier le gain inappréciable que constitue la conquête du pouvoir politique.
Nous tenons à le répéter: rien, ni dans l'esprit ni dans la lettre de la Réforme, ne trahit une volonté quelconque de créer une Guinée sous serre, refusant orgueilleusement les concours extérieurs et pratiquant une sorte de narcissisme culturel. Bien au contraire, les auteurs de la Réforme ont voulu, dans une double démarche, stimuler les énergies nationales en retournant aux réalités africaines et, sur cette base, établir avec les autres nations des rapports excluant l'esprit de domination.
Ainsi va se trouver comblé le fossé entre l'enseignement que le jeune Africain avait reçu et la vie qu'il était appelé à mener auprès des siens. Tournant le dos aux conceptions individualistes et à l'anarchie intellectuelle qui est le propre de l'enseignement colonial, les étudiants guinéens s'orientent désormais vers une nouvelle voie où tous les éléments de la culture nationale deviennent armes de progrès au service du peuple.
Plus de déracinés cherchant dans des complots chimériques un dérivatif à leur solitude, mais des hommes responsables qui savent qu'une culture qui ne s'épanouit pas dans l'action reste un culture vide, génératrice de « ratés distingués ».
N'est-il pas significatif qu'un élève de seconde ait pu écrire dans le journal de son école : « Le Gangan' n'a pas seulement pour nous une valeur locale; il représente un symbole, celui des nombreuses difficultés auxquelles se heurtent les jeunes nations comme la nôtre... Gangan.... Nous ne réussirons qu'en faisant comme les alpinistes, en nous tenant la main, en formant une cordée. »
Tel est le climat nouveau dans lequel se déroule le processus de décolonisation.
Des pièces de théâtre exaltant les grands moments de la résistance africaine au colonialisme se multiplient.
Poèmes et chants rythmant l'édification de l'indépendance se propagent à travers le pays. Dans tout cela, nulle trace de haine raciste, de chauvinisme revanchard mais volonté de discerner et d'appliquer ce qui correspond d'abord aux nécessités nationales.
Demain de nouvelles nations africaines retrouveront leur souveraineté. L'effort culturel entrepris par la Guinée fournit d'ores et déjà la preuve qu'elles pourront, elles aussi, dans l'indépendance reconquise, briser les anciennes formes d'aliénation et construire les bases d'un << nouvel et solennel départ >>.______________________________
3. Montagne de Guinée au pied de laquelle se trouve l'École Normale de Kindia.
VOUS LISEZ
COUPS DE PILON
PoetryIl est rare que s'allient la maîtrise du verbe et la profondeur de l'émotion, que s'accordent la distance et le don. Et cette harmonie paradoxale le meilleur se révèle. La parole de David Diop témoigne de ce lieu admirable et difficile. David...