Prologue

16 1 4
                                    


Angmar s'approcha, silencieux. Il observa le profil de son maitre, immobile face au soleil couchant. Il ressemblait à un Valar, comme ça, le visage sérieux et décidé, droit et fière, la face seulement éclairée par les derniers rayons du fruit de Laurelin. Ses dernières lueurs s'accrochaient à sa robe rouge et or et à sa chevelure blonde-rousse. Il ne portait pas d'armure, ne voulait plus sentir le contact froid du métal, la peur, le goût et l'odeur du sang qui l'accompagnent. Il n'avait qu'une épée au côté. Autrefois, il avait préféré les armes, avait placé davantage de confiance dans les remparts et les armées. Aujourd'hui, il souhaitait revenir sur cette décision.
D'ici quelques minutes, il prendrait le large pour rejoindre l'Ouest et achever le plan qu'il avait si longtemps mûri.

- Vous ne reviendrez pas.

C'était davantage une affirmation qu'une question.
Sauron se détourna, lança un regard à Angmar. L'instant était passé, il semblait maintenant vieux et lasse et infiniment mélancolique.

- J'en doute, en effet, soupira-t-il.

- Pourquoi partez-vous alors ?

Il retourna à sa contemplation, laissa s'égrener les secondes et répondit enfin :

- Parce qu'il est des choses qu'on ne peut pas oublier.

- Vous n'êtes jamais allé à l'Ouest, que comptez-vous y trouver ?

- Ce que j'espère y trouver ? Peut être la chance, peut être la liberté. Ou bien quelque chose que tu ne connais pas...

- Qu'est ce que c'est ?

- Je n'ai pas dis ce que c'était, je n'ai pas dis si je le trouverais. Cependant il est fort probable que je récolte la mort, pour mon impertinence.

- Votre impertinence ? Mais que Diable allez-vous faire là bas ?

- Cela, il n'y a que moi que ça concerne. Enfin presque...

- Vous êtes immortel, vous ne cessez de rabâcher que c'est une malédiction. Vous ne pouvez pas mourir.

- Alors peut être que j'y trouverais quelque chose de pire...

Le silence retomba. La soleil était près de s'endormir. Angmar n'osa pas demander plus de choses mais il ajouta tout de même, incapable de se taire :

- Vous semblez bien mélancolique...

- Je le suis.

- Pourquoi ?

- Je regrette le temps où tu ne posais pas de questions.

Sauron eut un sourire malicieux, sembla retrouver une vitalité qu'il avait depuis longtemps perdue. Une lueur indescriptible s'alluma dans son regard, une lumière plus vraie que celle de la soleil, une flamme plus vive et brûlante. Angmar n'avait jamais connu son souverain ainsi et il se demanda si, il y avait bien longtemps, le magicien avait été semblable. Et pourquoi il n'avait plus cette énergie d'autrefois. Perplexe, il se tut. Il sentait vibrer les souvenirs, dans chaque particule du corps du Maiar, il voyait bien qu'il avait été quelqu'un d'autre, il y avait longtemps. Quel changement majeur avait pu à ce point le transformer ? Sauron ne parlait jamais de son passé, d'ailleurs il ne parlait pas souvent de manière générale. Mais il semblait que pour ce voyage - ce dernier voyage - il allait retrouver une marque de cette ancienne vie, de cette ancienne personnalité. Peut être était-ce cela qu'il cherchait à Aman ? Une force, une énergie qu'il avait perdue ? Pourquoi la cherchait-il là bas ? Pourquoi dans cet endroit maudit où se trouvait tout ce que les Seigneurs Sombres détestaient ?
A dire vrai, mais cela Angmar ne pouvait pas le savoir, Sauron savait exactement ce qu'il cherchait, pourquoi, pourquoi là bas. Il savait aussi que sur cette terre maudite, se trouvait une porte. Et cette porte était gardée par la pire personne qu'il ait eu à connaitre, même s'il ne l'avait vu que quelque minute. Cette personne et quelques autres, qui avaient ruiné sa vie, ruiné ses espoirs, emporté ce qu'il avait de plus cher.

La soleil se coucha pour de bon, mais ses reflets restèrent accrochés aux yeux du Seigneur. Alors il sourit et lança :

- C'est drôle par quels retournements de situations et dénouements nous sommes passés pour en arriver là.

Et il se mit à remonter loin, très loin dans ses souvenirs, jusqu'à ce 26 décembre 3019 du Troisième Age où il avait envoyé Angmar piéger le Seigneur Elrond d'Imladris, par le même moyen qu'il avait autrefois utilisé pour piéger Gorlim et découvrir la cachette de Barahir et ses compagnons.

Le MordoréOù les histoires vivent. Découvrez maintenant