Tant qu'il y aura Noël

2 - Stratagèmes d'approche bureautique

Le vendredi suivant, Chloë était d'excellente humeur. Cette première semaine s'était globalement bien déroulée, le temps était toujours superbe et le week-end à portée de main. Peu de corvées l'attendaient – elle avait tellement couru la semaine avant la reprise qu'elle avait réglé bon nombre de choses –, elle allait pouvoir prendre du temps pour des choses qui la rendaient heureuse. Et, même si elle ne l'admettrait pas devant Darrell, elle envisageait de consacrer un peu du week-end à passer en revue ses listes de Noël, parce que cela lui faisait plaisir et qu'elle considérait qu'une fois la rentrée passée, sa période de l'année préférée était en ligne de mire !

C'est sur ces pensées joyeuses qu'elle arriva au travail. Son ami n'était pas encore là, il arrivait plus tard le vendredi, cela faisait partie de leur organisation à Amanda et lui. Elle appuya sur le bouton de mise en marche de son ordinateur et posa ses affaires le temps qu'il se lance. Elle fit un point sur ses tâches pour la journée, consulta sa messagerie professionnelle et sa messagerie personnelle puis jeta un œil aux tableaux de suivi qui rythmaient son travail.

D'autres personnes arrivaient dans l'open-space. Chloë regarda l'heure. Darrell ne tarderait pas à la rejoindre. Elle se leva pour leur préparer un café. En se dirigeant vers le coin où se tenait l'indispensable machine, elle vit arriver la nouvelle responsable de la formation. Son nom ne lui revint pas immédiatement car les missions de Chloë n'impliquaient pas la formation. Elle s'occupait surtout des processus de recrutement externe, aussi n'avait-elle pas eu l'occasion de discuter avec Inès. Néanmoins, elle n'était pas mécontente de son arrivée. Cette femme serait certainement moins pénible comme collègue que Stéphane ou Karim. Et en parlant des loups...

Inès avait déposé son sac et sa veste à son bureau avant de se diriger elle aussi vers le coin café. Sur le trajet, il y avait les espaces de travail des deux hommes qui la saluèrent. Elle leur rendit leur salut sans s'arrêter mais Karim la retint avec une question :

— On va boire un verre après le boulot, tu viens avec nous ? Histoire de faire un peu plus connaissance, dit-il avec un sourire qu'il voulait charmeur.

— Non, merci, répliqua Inès, d'un ton poli mais ferme.

— Oh t'es pas marrante ! Du genre à bosser sans arrêt, hein ?

— Pas du tout, je n'ai simplement pas envie, répondit Inès, qui sentait la moutarde lui monter au nez.

— Ça va, pas la peine d'être agressive !

— Je ne suis pas agressive, je refuse simplement ta proposition, tu n'as pas à commenter ! s'exclama la femme.

— Avoue, c'est parce que t'es lesbienne, c'est ça ?

Un silence plana. Chloë, qui assistait à la scène d'un peu plus loin, était mortifiée. Elle voulait aider la nouvelle venue mais aucune idée ne lui venait. Inès redressa les épaules. Elle n'était pas grande, mais il était évident qu'elle n'était pas une personne à qui on peut chercher des noises, comme elle le prouva :

— Karim Chelil, n'est-ce pas ?

L'autre haussa les épaules, incertain de ce qui allait se produire.

— Monsieur Chelil, dit Inès d'une voix doucereuse, pour votre information, les propos que vous venez de tenir constituent un agissement sexiste, comportement qui est interdit par le code du travail. Veillez à ce que cela ne se reproduise plus.

Après quoi, elle lui tourna le dos et s'en fut droit vers la machine à café et Chloë, dont elle ne manqua pas l'expression stupéfaite et admirative. Sa collègue lui adressa un petit sourire ; Inès lui en rendit un rayonnant. Elle se servit une boisson chaude et retourna à son poste de travail sans un mot de plus, tandis que l'open-space bruissait des commentaires en sourdine émis par les salariés présents, qui donnaient leur avis sur l'incident ou le rapportaient à ceux qui n'y avaient pas assisté.