Tant qu'il y aura Noël

9 - Comme une répétition de Noël

Inès hésitait à appeler Darrell. Il était, avant tout, le meilleur ami de Chloë. Il était aussi la seule personne de son entourage à la connaître et avec qui elle pouvait discuter d'elle.

Plus tôt dans la journée, qu'elle avait entamée avec son énergie habituelle et une dose de bonne humeur supplémentaire à l'idée de revoir Chloë après la séparation des vacances, Inès était arrivée au travail en avance dans l'espoir de ne pas être la seule, mais les locaux étaient quasiment vides, et les rares présents n'étaient pas ceux attendus.

Quand son amie était enfin entrée dans l'open-space, elle lui avait trouvé l'air fatigué et morose. Chloë n'était pas venue la voir et s'était absorbée dans son travail toute la matinée. À la pause déjeuner, quand elle avait enfin pu l'approcher, Inès l'avait saluée et lui avait de nouveau proposé de se revoir un soir quand l'occasion se présenterait mais, à sa stupéfaction après tous les messages qu'elles s'étaient envoyés pendant les vacances, Chloë refusa au motif que sa vie prenait un tournant compliqué en ce moment, sans plus de précision, mais ses yeux s'étaient mis à briller comme si elle allait pleurer. Inès n'avait pas insisté et elles ne s'étaient pas reparlé de la journée.

Elle avait vu Darrell prendre soin de Chloë et n'avait donc pas cherché à engager la conversation mais maintenant que la journée de travail était terminée et qu'elle était rentrée chez elle, elle avait besoin de se confier à quelqu'un et elle n'imaginait personne d'autre que l'ami commun à elles deux. Darrell prit son appel et l'écouta sans l'interrompre autrement que par des mots compatissants. Mais il ne savait que lui conseiller. Évidemment il ne pouvait pas lui dire la cause de l'état de Chloë, ce serait trahir sa confiance, Inès le savait bien. Il lui conseilla seulement de laisser passer un peu de temps pour que la situation du côté de Chloë se tasse et de rester son amie en attendant. Inès remercia Darrell, lui souhaita une bonne soirée et ils raccrochèrent.

Inès sentait ses yeux qui la picotaient, le chagrin enfler dans sa gorge, mais elle ne se laissa pas aller. Certes, c'était la première fois qu'elle avait fait la cour à une femme dans le but d'entamer une relation durable avec elle, c'était donc douloureux de voir qu'elle était la seule des deux à être amoureuse, mais sa vie n'en était pas moins riche. Beaucoup de travail l'attendait si elle voulait que la manifestation féministe soit une réussite. Elle n'avait pas non plus encore passé beaucoup de temps auprès de sa famille et de ses amies vivant dans le coin. Elle avait de quoi faire. Elle trouverait toujours à s'occuper. Tout allait bien se passer.

Pour le premier week-end suivant la reprise, Chloë estima qu'elle avait été suffisamment malmenée comme cela pour s'autoriser une pause chez son père avec Léo. Ils partirent donc le samedi dans la matinée pour passer le week-end chez Philippe, ravi de ce plan improvisé. Guillaume et Claire avaient prévu de venir le voir également le dimanche. Léo et sa mère profitèrent donc du vieil homme tout le samedi. Après avoir épuisé son grand-père à différents jeux de cartes, Léo s'occupa seul tandis que les deux autres, dans une autre pièce, s'attablaient devant un jus de pomme chaud aux épices pour discuter.

Chloë raconta à son père le comportement de Parker depuis plusieurs semaines et l'accrochage du week-end précédent.

— Oh papa, est-ce que c'est moi ? Je fais tout de travers ? Je ne sais plus à force.

— Comment ça pourrait être toi ? Ne tombe pas dans le piège d'endosser une responsabilité là où tu n'as pris aucune part. Tu connais ton ex-mari mieux que moi et tu sais aussi bien que moi qu'il adore te faire culpabiliser. Tu te rappelles toutes les remarques méchantes qu'il te faisait quand Léo était bébé, sur la manière dont tu t'en occupais ? Ça lui permettait à chaque fois que Léo n'avait pas un comportement irréprochable ou qu'il était malade de te faire porter le blâme.