10 - Péter un plomb et déménager chez le Père Noël

155 10 0
                                    

Chloë sentait son être se tendre, écartelé par les soucis. Même si elle ne regrettait pas du tout sa décision, apparemment impulsive, de couper les ponts avec sa mère, elle savait qu'elle remontait en réalité à très loin, prenant ses racines dans son enfance, alors que Catherine la maltraitait psychologiquement ; et physiquement à l'occasion. Cela faisait des années qu'elle y pensait de temps à autre, sans jamais s'attarder sur cette idée, la laissant germer dans son coin. Le timing de son appel l'avait fait disjoncter, mais elle ne reviendrait pas sur son choix, qu'elle savait juste.

Il n'en demeurait pas moins que la menace de perdre son fils l'épouvantait au point de mettre sa santé mentale en péril. Elle se sentait à bout de nerfs. Aller travailler, maintenir ses efforts pour être promue, c'était trop, surtout avec Léo dont il fallait prendre soin, Léo qui n'avait pas compris les gros sanglots de sa mère, Léo à qui elle avait promis de parler plus tard, mais pas maintenant, elle avait besoin de se reposer, Léo qu'elle avait inquiété alors que c'était à elle de prendre soin de lui.

Quand elle fut suffisamment remise du choc, elle expliqua de façon concise à son fils la demande de Parker et sa décision de rompre avec sa mère. Léo l'écouta très attentivement et hocha la tête une fois quand elle eut terminé, puis il resta silencieux encore un moment, tandis qu'il réfléchissait. Chloë s'efforçait de rester calme en attendant le verdict de son fils. Sa maturité l'amenait généralement à faire les choix les plus judicieux mais il lui revenait à elle de prendre ce genre de décision. Elle avait tout de même peur que son fils n'approuve pas ce qu'elle avait fait.

Quand il s'exprima enfin, ce fut pour dire brièvement qu'il ne voulait pas voir son papa davantage et que, honnêtement, mamie Catherine ne lui manquerait pas du tout, même si ce n'était pas très gentil de le dire. Chloë rit, les yeux embués, et serra dans ses bras son fils en confirmant :

— Non, ce n'est pas gentil en soi, mais ce n'est pas grave parce que c'est vrai. À moi non plus elle ne manquera pas du tout.

Se trouver au bureau cette semaine-là relevait de l'épreuve. Elle avait petite mine. Ses collègues s'en aperçurent évidemment, ceux qui l'appréciaient comme les autres. Alors qu'elle allait se faire couler un café pour tenir la fin de matinée, Chloë entendit un commentaire qui, s'il ne lui était pas adressé, lui était évidemment destiné. Karim et Stéphane, dans leurs sempiternelles discussions, prenaient le soin de lui faire savoir ce qu'ils pensaient d'elles :

— Oh la tronche, on dirait que Planche-à-tapas passe une sale journée... une dispute avec sa petite chérie peut-être ?

Chloë se figea à quelques mètres de la machine à café et pivota sur ses talons.

— Tu peux répéter ?, demanda-t-elle à Stéphane qui avait parlé.

— Pardon ? Je ne t'ai pas adressé la parole, répondit-il, goguenard.

— Mais c'est de moi que tu parlais. Personne d'autre ne vient de passer près de vos postes.

— Et même si c'était de toi, qu'est-ce que ça ferait ? On a encore la liberté d'expression, non ?

Chloë prit une inspiration, tenta de se calmer – elle voyait des têtes curieuses tournées vers elle – mais n'y réussit pas.

— Vous n'êtes qu'une petite bande d'ordures tous les deux ! cria-t-elle, la voix déformée par les pleurs qui s'aggloméraient de nouveau sans sa gorge.

Puis elle se précipita hors de l'open space qui avait assisté à tout l'échange, marcha à pas vifs jusqu'à l'extérieur où Inès la rejoignit quelques minutes après. Les deux femmes ne se voyaient plus seules, seulement dans leur petit groupe de collègues, mais Inès connaissait désormais bien son amie et lui proposa une cigarette sans rien dire. Chloë n'était pas une fumeuse habituelle, mais dans certaines circonstances elle appréciait une cigarette. Elle remercia d'un signe de tête. Inès lui alluma à l'aide d'une allumette. Leurs deux visages furent proches pendant quelques secondes. Dès qu'elle le put, Chloë détourna son regard des yeux cannelle de son amie. Elle fuma lentement, tenta de faire le vide dans son esprit en se concentrant uniquement sur ses inspirations et expirations. Quand elle eut écrasé son mégot, elle remercia Inès de vive voix et retourna travailler sans un regard pour personne.

Tant qu'il y aura NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant