Élisabeth, Pécheresse de l'Avarice, était du temps de son paganisme une femme avec le cœur sur la main. Elle se serait dépouillée de ses frusques pour les donner à une personne dans le besoin. C'était pour cela qu'elle faisait la meilleure Avarice parmi les Pécheresses.
Économe, elle tenait les cordons de la bourse bien serrés sans pour autant affamer ses sœurs d'infortunes. Néanmoins, l'Avarice tenait en tout. L'amour, le sexe, les amies, les soins prodigués, bref. Cela lui avait pourri la vie du jour au lendemain, mais c'était toujours mieux que de se coltiner la Luxure et les crampes quotidiennes en raison d'un excès de sexe. Elle laissait volontiers cela à Madeleine.
Bref, dans tous les cas, elle était aujourd'hui la fausse Mère Supérieure de l'abbaye de Morteruine, fausse Mère Supérieure qui s'était fait joyeusement culbuter par un démon la veille au soir. Ou deux, elle ne savait plus combien de Nergal se trouvaient dans la pièce à ce moment-là.
Pour lors, elle se tenait une cuite mémorable, qui la fit s'écrouler à seize heures pétantes à côté de Marie dans la salle à manger. Le réveil était violent. Pourtant, l'expression de son amie manqua la faire décuver instantanément.
-Ça va ? s'enquit-elle, les yeux écarquillés.
La sorcière leva les yeux sur elle. De grosses cernes, un nez un peu rouge et un regard à vous tuer sur place.
-Ça a l'air d'aller, à ton avis ?
-Un problème avec ton ange ?
-Madeleine devrait déjà être là.
Ah... Élisabeth fronça les sourcils. Elle avait mal à la tête, bon sang. Être une Pécheresse devrait au moins la protéger de la gueule de bois ! Quel intérêt d'hériter de ça si c'était pour avoir que des ennuis !? Ah oui... C'était une punition, à l'origine.
Ange Gabriel à la c...
-En comptant le trajet, plus le retard occasionné par la culbute, c'est normal qu'elle ne soit pas encore là. En plus, elle n'a pas ta magie pour l'aider.
-Elle est directement allée chez son démon d'amant, fit Marie en plantant son regard marron dans le sien. Tu sais aussi bien que moi qu'il a la capacité de se déplacer entre les plans avec les portes des enfers. Madeleine devrait déjà être là.
Élisabeth se massa la nuque, son esprit embrumé peinant à trouver des contre-arguments.
-Son amant est un succube. Ils peuvent copuler pendant des jours, tous les deux. Tu ne penses pas que...
-Bon sang ! rugit Marie en abattant son poing sur la table. Je te dis qu'il y a un problème !
-Bien vu, Pécheresse.
L'espace d'un battement de cœur, et elles firent face à un ange.
Un Séraphin, aux six ailes déployées, se tenait assis en tailleur sur leur longue table à manger. Marie eut tout juste le temps de l'identifier. Juste avant qu'une épée de cristal jaillisse du néant, pour se planter dans son torse et le clouer à la table dans une gerbe de sang. Stupéfait, l'ange tenta aussitôt de se débarrasser de l'arme. Mais Barbatos se trouvait déjà à califourchon sur lui, sa main assurée plantant la lame plus profondément dans le bois.
-Salut, Raphaël, gronda le déchu, son visage à un cheveu de celui du Séraphin.
-B... Barbatos...
-Je me doutais bien que tu viendrais les provoquer, siffla-t-il. Est-ce toi qui m'as trahi ?
-Je... hoquetai l'ange en tentant de retirer la lame de son torse, en vain. Jamais...
-Barbatos ! s'exclama Marie en se précipitant vers lui. Tu risques les foudres de ton Créateur si tu...
L'ange déchu darda sur elle un regard implacable.
-Que le vieux du dessus me foudroie, s'il n'est pas content.
Comme rien ne se passait, Raphaël poussa un râle de douleur en laissant retomber sa main.
-Jamais... le Créateur... ne te touchera...
-Il m'a déchu, ça revient au même. Maintenant, réponds. Tu m'as trahi ?
Le regard vers le haut, Marie fronçait les sourcils. Maintenant qu'elle y pensait, face à Damabiah aussi, le Créateur n'était pas intervenu. Peut-être se moquait-il de tout cela ? Ou avait-il assez confiance en ses ouailles pour ne pas avoir à intervenir ?
-Tu.... nous as tous... trahis, souffla Raphaël. Mais...
-En quoi être pote avec des démons est une trahison !? s'exclama Marie, exaspérée. La punition est démesurée à côté de la faute !
-Mais ? répéta Barbatos, la rage faisant vibrer sa voix. Si tu n'es pas le traitre, alors qui !?
-Je... sais pas...
-Alors qu'est-ce que tu fous là !?
Un craquement, assourdissant. Marie eut tout juste le temps de lever sa barrière de runes, tout en attirant Élisabeth à elle. Le plafond s'effondra sur eux, des blocs rocheux entiers heurtèrent sa protection. Sans ça, elles auraient été écrasées !
Mais... Barbatos !?
Au travers du rideau de poussière et de pierre, elle vit Raphaël, seul. L'ange déchu se trouvait à présent juste derrière elle, sous la protection de son bouclier. Ouf. Avec son aile récemment cassée, il ne pouvait pas se permettre de recevoir des blocs de cette taille sur lui !
Quand la chute de pierres s'arrêta, Raphaël n'était plus cloué à la table, mais dans les bras de l'archange Gabriel. Ce dernier, voletant dans les airs, les regardait avec une rage non dissimulée. Derrière lui, quatre autres anges jouaient les gardes.
-Tu paieras pour ton crime, Barbatos.
-Ah ouais ? Et les tiens, on en parle ?
Gabriel l'ignora, pour baisser les yeux sur Marie. Un frisson de rage la secoua. Pourtant, elle n'abaissa pas son bouclier. Surtout quand un sourire cruel étira ses lèvres.
-La Luxure se trouve entre de bonnes mains.
Quoi ? Non... Non !
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Pécheresse
FantasyUn chapitre par semaine Caractérielle patentée, Marie se retrouve aux prises avec deux problèmes : un trésor disparu dont elle a besoin pour renflouer les caisses, et un énigmatique colosse blond. Le second n'aurait pas été un souci, s'il avait été...