Chapitre 7

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C'était étrange, de se retrouver dans une pièce pleine de statues de soi-même.

Les yeux rivés au sol, Achille priait pour ne pas croiser son propre regard. Il entendait distinctement les rires de son frère et ses amis qui s'amusait de la ressemblance entre le visage animé d'Andréas et celui, figé dans le marbre, d'Achille aux pieds rapides.

-Tout va bien ? lui demanda une voix.

Il releva la tête pour croiser le regard triste d'un grand garçon aux cheveux bruns. Il paraissait familier à Achille et, malgré sa mémoire en miette, il parvint à effleurer un souvenir du bout des doigts. Il plissa les yeux. N'était-il pas un de ses voisins quelques minutes auparavant ?

-Léandre, c'est ça ? hésita-t-il.

Cela devait être cela puisque le regard du garçon s'éclaira alors qu'il hochait la tête avec entrain. Il y avait dans son énergie quelque chose de naïf, très beau, mais presqu'agaçant. C'était l'énergie qui discernait les garçons et les hommes. Léandre avait cette soif de nouveauté, de montrer au monde ce dont il était capable mais, aussi grand et fort qu'il était, son dos fragile ne survivrait pas à la première vague de l'âge adulte, qui renverserait sur son passage les certitudes qu'il avait pensé bâtir.

-C'est ça, confirma-t-il, voyant que personne ne comblait le silence qui s'installait. Tout va bien, répéta-t-il.

Achille hocha la tête.

-C'est juste que dans un musée, continua-t-il, les gens regardent autour d'eux en général. Pas leurs pieds.

Achille releva les yeux vers lui, à peine agacé. On abimait pas comme ça la carapace qui recouvrait son corps. Remarquant le regard vide qui se portait sur lui, Léandre reprit rapidement :

-Pas que tes chaussures ne soient pas intéressantes. C'est pas ce que j'ai dit bien sûr. C'est juste qu'on est dans une pièce avec pleins de statues super belles d'un héros carrément stylé, et que tes chaussures je suis sûr que tu les as déjà vu. Enfin forcément puisque tu les as achetées, tu as dû les choisir et...

Les mots se bousculaient dans sa bouche, se pressant contre ses lèvres, impatients à l'idée de résonner contre les murs froids du Louvre. Il avait quelque chose d'enfantin, ce grand garçon aux airs tristes, quelque chose de pur, qui portait les effluves des vents athéniens quand, des années auparavant, Achille avait cru qu'il aurait pu tout recommencer, tout oublier, pour devenir une nouvelle personne. Léandre sentait la nouveauté, comme ces jouets qu'on offre à Noël et auxquels on ne peut s'empêcher de penser pendant des jours et des jours jusqu'à ce qu'on s'en lasse. Léandre était l'inconnu, le garçon qui avait foi en l'humain alors même qu'Achille avait vu le monde doucement devenir plus maussade.

Peut-être n'était-il pas si agaçant que cela. Et le fait qu'il ait appelé Achille un « héros super cool » n'avait vraiment rien à voir. Ou presque.

Que voulez-vous, Achille lui-même n'avait-il pas été trahi par sa fierté ?

-Je trouve juste que cette salle n'a pas grand intérêt, dit-il finalement à Léandre quand il eut fini sa longue tirade en haussant les épaules.

L'air indigné qui se peint alors sur le visage du garçon avait quelque chose de comique, et Achille pensa que Louis XIV l'aurait sans doute beaucoup apprécié, lui, son regard triste et son air outré.

-Pas grand intérêt, s'exclama-t-il, un peu trop fort pour que tous les regards ne se tournent pas vers eux. Il baissa d'un ton : Pas grand intérêt ! Mais c'est pour ça qu'on est venu !

-Pour voir une salle pleine de statues ? s'amusa Achille.

Il y avait quelque chose de curieusement jouissif à faire marcher Léandre :

AchilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant