Pâris était un imbécile.
C'était la seule chose que se répétait Hector alors qu'il défaisait un par un les Grecs qui avaient le courage de lui faire face. Des dizaines de dépouilles jonchaient déjà le sol autour de lui, rendant plus difficile d'accès la portion de plage où il faisait des ravages. Les armes claquaient les unes contre les autres, faisant valser des étincelles autour de ses cheveux noirs et de ses yeux verts. Sa peau brunie par le soleil de l'est était tâchée de sang terreux, et il savait de quoi il avait l'air.
D'un fou.
Il le voyait dans les yeux de ceux qu'il rencontrait, des Grecs qu'il croisait. Il le voyait dans leurs regards de détresse alors que déjà, sa lame s'enfonçait entre leurs côtes. Tuer. Tuer. Tuer encore, toujours, jusqu'à ce que la nuit tombe et que chacun regagne son camp.
La guerre trainait. Elle durait, et s'étendait dans le temps, comme un long élastique dont on ne voyait pas le bout. Hector avait cessé de compter les morts et les année qu'il avait passé à voir son peuple se faire décimer, alors que lui-même décimait le campement qui avait élu domicile à l'autre bout de la plage. Avec les semaines, il l'avait vu rétrécir, et la fumée obscurcir le ciel des dépouilles que l'on brûlait.
Hector n'était pas fier.
Il se battait pour sa ville, pour son père, pour sa femme. Hector se battait pour ceux qu'il aimait. Pour tout sauf pour la violence et la douleur qui étreignait son cœur brûlant alors qu'il se débattait dans la mêlée.
Hector détestait la guerre, et il détestait ceux qui l'avaient amené avec eux. Les Grecs.
Et pourtant, comment leur en vouloir ?
Pâris était un imbécile. Plus jeune que lui. Plus beau aussi, d'une beauté étroite, juvénile, Pâris était tout en hanches osseuses et bras longilignes. Il aurait pu avoir n'importe laquelle des femmes qu'il désirait, mais il avait fallu qu'il aille s'en trouver une de l'autre côté de l'océan.
Hélène. Belle Hélène. Merveilleuse. Elle était la plus grandiose des créatures qu'Hector ait jamais rencontré. Femme d'un roi, réfugiée troyenne au sourire charmeur et aux longs cheveux bruns relevés au-dessus de ses épaules, elle était le printemps personnifié, tout en courbe et en déhanché.
Hector la haïssait. Il la haïssait parce qu'en débarquant sur la plage troyenne avec Pâris, elle avait oublié de mentionner que ses pieds nus et blancs comme le lin tacheraient de sang le sable de leurs plages.
Hector détestait le sang. Il détestait le sang, la guerre, Pâris, et ce surnom idiot qu'on lui avait donné. Hector tueur d'homme.
Hector tuait, presque mécaniquement. Comme mû par un reflexe millénaire ou protégé par les dieux, il bougeait trop vite pour que quiconque ait la prétention d'essayer de le toucher, mais chacun de ses gestes était empreint de répugnance. Chacun de ses coups baignait dans un dégout profond et visqueux.
Quand il se battait, Hector était laid, les traits déformés par un mélange d'horreur et de colère, les cils alourdis par la transpiration et le sang.
Achille, lui, même après des jours et des jours de bataille, ressemblait toujours à un dieu.
Hector l'avait aperçu pour la première fois alors que les Grecs tiraient leurs bateaux sur le sable rendu brûlant par le soleil. Lui et quelques-uns de ses camarades les observaient depuis le haut des murailles, leurs arcs bandés, prêts à tirer.
Hector n'avait jamais été le meilleur des tireurs, aussi pour la première volée de flèche, il avait décidé de se choisir une cible plutôt facile. La pointe de sa flèche s'était alignée sur un jeune homme d'une toute petite vingtaine d'années, dont les cheveux bruns étaient relevés en un chignon lâche sur son crâne. Debout sur un bateau, il tentait à grande peine de ne pas tomber alors que ses camarades tiraient le tirait hors de l'eau.
VOUS LISEZ
Achille
General FictionCombien de vies depuis Troie ? Le royaume des morts se refusait à Achille, et ses vies se succédaient, rythmées par l'histoire et le poids de sa mémoire bien trop lourde. Où était Patrocle ? Où étaient les dieux ? Justice pour Achille aux boucles...