Achille était fiévreux. D'une de ces fièvres qui vous laissent en haleine, pantelant, les yeux roulants dans leurs orbites, et le cœur cavalant dans la poitrine.
Il étouffait, soudainement, comme il n'avait étouffé qu'une seule fois auparavant, les cheveux collants de sueur sur son front brûlant, alors qu'il tenait entre ses doigts rendus calleux par la mer et les épées la nuque raide de Patrocle au cœur de lion, ses cheveux bruns s'emmêlant autour ses doigts.
Oh, Patrocle, dont le sourire si doux ne lui avait jamais paru aussi vif et présent. Derrière sa peau brûlante, les souvenirs jaillissaient avec la violence des cascades qui s'éclataient en une nuée de gouttelettes, comme si on avait fait sauté le mur qui les emprisonnait.
Sourire. Larme.
Achille se tordait de douleur, la gorge enrouée, la peau couverte de chair de poule. Patrocle. Ses mains se refermaient sur sa couverture comme pour serrer leurs semblables sans jamais les trouver, les cris mourant au bord de ses lèvres exsangues.
Achille se mourait, encore, se battant contre le poids de l'oubli qui toujours menaçait les paroles d'Hadès. Il en avait assez d'oublier, assez de se souvenir. Il aurait voulu disparaitre pour toujours, ne plus exister, dériver à l'infini au sein de Chaos, l'être premier. N'être rien était un drôle de concept, et Achille était prêt à y plonger corps et âmes si cela signifiait calmer la fièvre qui le torturait.
La fatigue le menaçait encore et toujours, se tenant aux côtés de l'oubli, mais Achille avait retrouvé la foi de se battre, celle qu'il avait cru perdre des centaines d'années plus tôt.
« Il a quitté l'Élysée. »
Oh, Achille en avait rêvé, et à présent, il en délirait. Il avait retourné les mots dans sa tête, à chaque fois que les yeux dorés de son amant se superposaient à ceux de Charlie. Ceux d'Ayura. Ceux de ce garçon spartiate, de tous ceux qui s'étaient succédé sous les draps de son lit carthaginois. Luxure. Patrocle. À chaque fois que son nom naissait au creux de ses lèvres sans qu'il ne s'autorise qu'à le murmurer.
Il avait froid. Il avait chaud. Son corps entier se consumait sous le poids des mots d'Hadès qui étaient tombés comme des pierres dans ses oreilles endormis.
« Patrocle a quitté l'Élysée. Hector erre sur cette terre en même temps que toi. »
La tragédie de Troie jouait sa deuxième représentation ce soir, brutale et bestiale, alors que les trois héros foulaient d'un même pas le sol qui avait déjà accueilli leurs pieds divins. Dans les coulisses, les acteurs se préparaient, et cette fois, la pièce s'ouvrirait sur l'agonie d'Achille aux pieds fragiles.
Chaud. Froid. La fièvre montait et Achille transpirait sous sa couverture déjà trempée, Andréas à son chevet dont les yeux inquiets sondaient l'obscurité sans ne voir jamais que la peau blafarde de son frère millénaire.
Les trois coups étaient sonnés, les rideaux s'ouvraient, et Achille divaguait, sa voix pâle se perdant dans le bruit répété des corps troyens touchant le sol poussiéreux de l'amphithéâtre. Patrocle ? Patrocle, Patrocle. Patrocle.
Il le répétait, encore et encore, comme un mantra, la seule chose qui lui permettait de se raccrocher à la réalité, au moins un petit peu. Patrocle. Patrocle. Une prière. Achille avait cessé de croire aux dieux, quels qu'ils soient, des centaines d'années plus tôt, mais pour Patrocle, il se serait agenouillé aux pieds de Zeus, maitre de son châtiment, s'il le fallait.
Patrocle.
Il était né, encore. Las d'attendre sur les plages calmes de l'Élysée dont le sable lui rappelait trop celui de Troie, il avait préféré abandonner souvenir, corps et esprit pour renaître, priant pour qu'enfin, son amant et lui puisse être réunis.
VOUS LISEZ
Achille
General FictionCombien de vies depuis Troie ? Le royaume des morts se refusait à Achille, et ses vies se succédaient, rythmées par l'histoire et le poids de sa mémoire bien trop lourde. Où était Patrocle ? Où étaient les dieux ? Justice pour Achille aux boucles...