Chapitre VII : Le supplicié de l'autel

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Dès lors que ses pieds foulèrent le hall, le vent referma le portail derrière lui. Face à une longue nef, il se tenait entre des piliers démesurés ainsi que sous des arches majestueuses. Sans le sifflement du vent pour l'épauler, il sentit soudainement le poids du silence. Dans cette cathédrale éclairée par la lueur des vitraux et des rosaces, il n'entendait plus les railleries et les injures sépulcrales des fantômes. Il n'entendait que le son fragile de ses inspirations et de ses expirations saccadées... La silhouette vacillante, il s'approcha du transept. Sur le sol, des taches de sang maculaient les dalles. Des épées et des haches se trouvaient çà et là et des armures vidées jonchaient les recoins. Les yeux plongés sur les voûtes vertigineuses, il n'arrivait pas à croire que des ouvriers et des architectes avaient pu bâtir un édifice aussi grandiose. Toutefois, cette immense salle en forme de croix lui semblait hantée par des forces maléfiques. À vrai dire, les dalles et les colonnes étaient d'un noir si profond, qu'il avait l'impression de marcher dans le néant. Seulement, ce néant était façonné par de telles courbes et une telle élégance, qu'il en appréciait le tout.

À l'approche de l'autel, l'égaré remarqua quatre lumières bleues autour d'un corps de chair. Le souffle coupé, il s'écarta derrière les piliers sur les bas-côtés. Avec une vue plongeante sur les chapelles rayonnantes, un étrange spectacle se dessinait sur l'autel. Les bras et les jambes tiraillés par des chaînes en fer, un homme à moitié nu se faisait écarteler par des chevaux aux pelages aussi limpides que les eaux d'une rivière. De toutes les horreurs qu'il avait rencontrées, il n'avait jamais assisté à une scène aussi dérangeante. Le supplicié ne se plaignait pas, mais il allait se faire démembrer. Je dois faire quelque chose, je dois l'aider. D'un bond irrépressible, il se propulsa vers l'autel où le condamné reposait. Seul dans cette cathédrale, il était le seul à pouvoir le sauver d'une mort atroce.

— Cessez, cessez cette torture !

Aussi fulgurant qu'un coup de tonnerre, son apparition fit cabrer les quatre chevaux qui galopèrent soudainement de chaque côté du chœur. La pression qu'ils exerçaient contre les maillons fut si soudaine, qu'un hurlement brisa les vitraux sur les chapelles. Les mains plaquées contre les oreilles, il assistait à un cauchemar. Pendant que le hurlement du supplicié résonnait dans les allées et dans les plafonds, les chevaux s'acharnaient encore. Ils tiraient si fort que les membres du condamné se rompirent simultanément.

Libérés de ses chaînes, le tronc et la tête du condamné claquèrent sur l'autel pendant que les palefrois s'échappaient par les vitraux dans une vague de pureté.

–––

Seul avec cet homme démembré, l'égaré s'était prosterné. Il n'avait pas encore examiné son corps, mais il n'y avait pas une seule goutte de sang sur l'autel. Le malheureux venait de se faire déchirer les os, les nerfs et la peau, mais aucune souillure n'avait jailli. Toutefois, ce n'était plus qu'un tronc avec une tête posée sur un cou.

— Je suis navré, confessa-t-il les yeux vers le sol. Tout est de ma faute... j'ai effrayé vos créatures.

— Au contraire vagabond, vous m'avez libéré d'une longue torture.

L'égaré ne rêvait pas, la voix de l'homme-tronc vibrait dans toute la nef.

— Mais vous êtes privé de vos jambes et de vos bras !

— Certes, mais avant votre venue, j'étais dépouillé de l'usage de tout mon corps et de ma liberté. Voyez-vous, j'avais été condamné à un écartèlement éternel. Martyr pour notre bon Dieu, j'avais fini par mourir de faim et de soif au chœur de cette cathédrale. Mais même après la mort, mon âme n'avait point été libérée. Elle était encore tiraillée par ces maillons et ces chevaux spectraux. Enfin, désormais mon âme et les chevaux sont libres.

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