Une sensation de vide l'envahissait depuis une éternité. Jorund n'éprouvait plus aucune douleur et il ne ressentait plus la moindre peur. Ses jambes et son ventre étaient étendus contre un tapis qui ressemblait à du sable et sa langue asséchée était pleine de miettes. Dès que ses dents se refermaient, un grésillement vibrait dans sa bouche. Ce n'était pas désagréable, mais il n'arrivait pas à savoir de quoi il s'agissait. Pour dire vrai, ces grains n'avaient aucun goût. Tout comme la brise qui sifflait dans son oreille droite avant de ressortir par son oreille gauche.
Cette somnolence aurait pu continuer ainsi pendant des lustres. Seulement, il se rappela qu'il avait des yeux et qu'il pouvait s'en servir. Lorsque ses paupières s'ouvrirent, une vapeur nébuleuse infiltra d'abord sa vision. Par la suite, ce brouillard s'évapora et il se rendit compte de l'infinité silencieuse du monde dans lequel il gisait. Au beau milieu d'une étendue désertique, un vent insonore dessinait les milliers de dunes poussiéreuses qui évoluaient aux souffles du vent. Ce vent sillonnait chaque parcelle et il mordait les grains imprudents comme un serpent géant. Ce désert était couronné par une pleine lune qui baignait au cœur d'un ciel mauve et sinistre. Sans la moindre étoile ni le moindre nuage, le front d'argent projetait sa lumière sur les faces cachées des coteaux. Derrière les ombres des collines, de la poussière papillonnait dans l'air. Cette nuée semblait s'amuser de l'allure misérable qu'exposait Jorund. Allongé sur ce tapis poudreux, il contemplait ce monde comme s'il n'avait jamais rien vu d'aussi merveilleux. Ce dernier était habitué à la solitude, mais jamais, au grand jamais il n'avait assisté à un paysage aussi vide et désolé que celui-ci. Entre ces dunes étranges, aucun gibier ne courait, aucun insecte n'extirpait ses pattes, aucun oyat ne berçait le vent, aucun brin d'herbe ne pointait sa tête et aucune trace du moindre campement ne se profilait. Dans ce désert, il avait le sentiment que la vie n'avait jamais existé. Où pouvait-il bien être ?
Perdu dans ses pensées, il cherchait un mot pour qualifier ce lieu. Était-ce le paradis ? Non, la lumière l'aurait irradié. Était-ce l'enfer ? Non, les souffrances l'auraient réveillé. Était-ce le purgatoire ? Non, sinon des âmes erreraient à ses côtés dans l'attente de la légendaire « expiation ». En plus d'être isolé dans ce désert, il sentait la chaleur de son corps et de son souffle. Son cœur battait, son sang circulait dans ses veines et tous ses sens l'habitaient. S'il était encore vivant, il ne pouvait pas résider dans un royaume spirituel. Cela ne pouvait signifier qu'une chose : ce monde était bien celui qu'il avait connu...
— Natas.
Les poings serrés, il agrippa une poignée de ce « sable » pour l'examiner. Au plus près de ses yeux, il réalisait que ses grains n'étaient pas de couleur ocre. Ils variaient dans toutes les teintes de gris imaginables. Même si cette poussière n'avait plus aucune odeur, Jorund savait de quoi il s'agissait.
— Maudite cendre !
D'un sursaut de colère, il déterra ses pieds et il agita ses cuisses ankylosées.
Enfin debout, il contempla la lune : elle était aussi ronde que celle qu'il avait vue le premier jour de son périple. Ce désert n'était pas un paysage lointain. C'était bien la nouvelle apparence de la région de Roc-Phénix depuis le déluge de lave. Avant d'entamer sa route, il se demanda combien de temps s'était écoulé depuis qu'il avait plongé dans les bains de la chambre magmatique. Mais à mesure qu'il avançait, les sables du temps lui rappelaient qu'il n'avait aucun pouvoir pour le savoir...
–––
Nu comme un ver, il se dirigeait vers l'éclat de la lune. Malgré le chemin qu'il avait déjà parcouru, l'horizon ne pointait que des dunes de cendre à perte de vue. Il ne comprenait plus le sens de sa quête. Cela ne faisait aucun doute, le soleil s'était couché depuis longtemps. Pourtant, il vivait encore et les dernières paroles de son frère aîné n'avaient jamais été aussi vives. Lorsque la lumière sera couchée, il sera trop tard. Si tu échoues, notre monde ne sera plus qu'un souvenir et il ne renaîtra plus jamais.
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Miséricorde
General FictionQui est-il ? Où est-il ? Que fait-il ? Où va-t-il ? Le vieillard n'en sait rien, Il suit simplement les voix Il suit simplement sa voie... Seul au monde un vieillard voyage à travers l'angoisse et la mélancolie. Au fil de ses rencontres avec l...