Chapitre X : Le spectacle est fini !

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Confortablement assis sur le trône, l'égaré s'était laissé transporter par les mélodies que jouaient les ménestrels à la vièle. Leurs chants et leurs notes se mariaient avec le gazouillis des ruisseaux entre les pavés, avec la douce brise qui sifflait entre les rangées de buis, ainsi que le craquement des branches des magnolias. Sous les lueurs de la lune et des torches, des bardes profitèrent de cette harmonie pour raconter une étrange histoire :

Il y a fort longtemps, deux phénix vécurent dans un château. L'aîné fut le favori du roy, et le cadet fut souvent délaissé ;

À la mort de leur père, les jeunes phénix partagèrent les mêmes rires ainsi que les mêmes plaisirs. Cependant, ils ne purent point se partager le même trône ;

À la tête du royaume, l'aîné ne songea qu'à courtiser et à se pavaner. Il ne se soucia point de la détresse de son peuple ;

De son côté, le plus jeune porta une aigreur dans son cœur. À l'inverse de son frère, il écouta les tourments des foules. Hélas, le cadet s'intéressa de trop près à la magie et à l'alchimie. Comme le vent tourna, il rencontra son destin...

Un triste jour, sa soif de pouvoir l'empoisonna et le jeune phénix souilla ses ailes le jour de Noël. Il assassina son frère et le royaume attendit un nouveau roy ;

Enfin sur le trône, les gens craignirent ce seigneur. Il ne ressembla point à un phénix, mais à une chauve-souris ;

Avec pour seul désir la haine et la cruauté, ce roy fit régner la terreur dans un brasier insatiable qui ne s'éteignit jamais ;

Le jour où le roy s'était envolé dans la nuit, tous avaient espéré qu'il ne reviendrait jamais...

Lorsque les bardes achevèrent ce récit, un silence s'empara de la cour. Autour du feu de joie, les dames s'étaient figées de stupeur. Sur l'estrade, les jongleurs et les cracheurs de feu avaient le souffle coupé. Dans un scintillement de regards, tous fixaient le nain qui s'esclaffait seul au milieu de la table. Dans cette accalmie, même l'égaré avait été extirpé de sa rêverie. Comme tous les autres, il ne comprenait pas pourquoi le bouffon riait : « Hahahaha... »

La gorge déployée et le ventre déboutonné, le chambellan s'esclaffa ainsi pendant un long moment. Ce malaise aurait pu se prolonger, mais le chambellan refréna sa joie et il se leva sur la table. Au milieu de cette foule de haut lignage, le bouffon dressa ses mains sur ses mèches enluminées par des clochettes. Et, lorsque l'égaré le toisa, il ouvrit les lèvres :

— Haha, ce récit me rend si jouasse que j'ai jugé bon de récompenser mes braves troubadours ! Pour vous féliciter d'avoir chanté l'histoire que j'avais spécialement écrite pour ce banquet, j'ai décidé de vous offrir un voyage !

À la générosité inattendue du bouffon de la cour, les ménestrels s'inclinèrent sur leurs genoux. Toutefois, quelques nobles s'agitèrent sur la grande table.

— Et nous autres, nous n'avons guère le droit à un cadeau pour tout le mal que vous nous avez causé ? réclama un jeune homme identifiable à son bec-de-lièvre.

Cette prise de parole plongea la cour dans un nouveau silence. Tous étaient embarrassés par l'impudence de ce noble et, tout comme eux, l'égaré s'inquiéta de la réaction du chambellan : « Hahahahaha ! »

— Qu'y a-t-il de si plaisant ? demanda le même jeune homme.

— Pour féliciter votre hardiesse, je vais vous offrir un voyage à vous aussi ! Non, je vais faire mieux ! Je vais accorder un pèlerinage à tout le monde dans cette cour !

MiséricordeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant