Chapitre XVII : Le cauchemar de Sylvestre

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Pendant qu'il s'inquiétait de sa disparition, la fumée s'estompa. À quelques pas de la silhouette du jeune Sylvestre et des poulains, il remarqua un morceau de fer. Aucun doute, il s'agissait de la pointe de sa lance. Sous le silence, il marcha sur la pointe des pieds pendant que des fissures lézardaient sur les arcs brisés et sur les murs de l'édifice. Avec le son de sa propre respiration, il se pencha pour récupérer la relique. Malgré son arme en main, la peur le submergeait encore. La cathédrale ne tarderait pas à s'effondrer et il n'avait toujours pas réussi à récupérer le chapelet de Sylvestre. Le dos courbé, il contourna la table pour faire face au jeune garçon. En penchant la nuque, il déposa sa lance sur l'autel. Puis d'un long soupir, il ôta son linceul avant de le déployer sur le rebord de la première marche. Dans le costume le plus dépouillé qu'il soit, il s'agenouilla nu sur la toile. Et, les mains en position de prière, il laissa ses pensées le guider.

— Les tourments du présent m'ont appris que je ne pourrai jamais revenir dans le passé. Je ne compte guère faire mon mea culpa. Mes excuses sembleraient bien répugnantes après toutes les souffrances que je vous ai infligées. D'ailleurs, mes massacres d'antan étaient si communs, que j'en avais oublié les horreurs commises envers vos parents. Toutefois, je n'oublierai jamais votre bravoure lorsque vous vous étiez dressé contre le monstre que j'étais devenu. Vous étiez l'un des rares à contrecarrer mes desseins. Vous avez préféré mourir par la torture la plus vile, plutôt que de renier votre foi. Je pourrais implorer votre pardon pendant des jours, des mois, des années et peut-être plus encore. Seulement, je n'ai plus le temps pour attendre. Messire l'archevêque, j'aimerais pouvoir revenir sur mon choix lors de notre dernière rencontre. J'ai besoin de votre chapelet !

Dès que ses supplications s'achevèrent, des rires percèrent le silence de la cathédrale... À travers les vitraux brisés et le toit éventré, une brise ardente se propagea jusqu'au chœur. Devant l'autel, Jorund leva la tête vers le ciel : assis sur la charpente dévastée de la cathédrale, Natas déployait sa joie la plus féroce. En seul maître de la maison de Dieu, il pouvait rire partout selon ses envies.

— Ce n'est guère une tenue décente pour prier auprès d'un enfant !

— L'archevêque Sylvestre n'est point un enfant ! Où étiez-vous pendant tout ce temps ?

— J'étais ici et là, répondit-il alors qu'il sautait à travers les charpentes comme un acrobate.

— Je suppose que vous avez entendu ma prière ?

— Jusqu'à la dernière goutte, mon Jorund !

La haine au ventre, il se redressa pour ne pas vomir l'aversion qu'il éprouvait contre ce nain. Sur les hauteurs de la cathédrale, Natas se moquait encore de lui.

— Allez-vous-en !

— Mais je suis chez moi, mon Jorund !

Après avoir endossé son linceul comme une cape, il s'éloigna de l'autel. Dans une impasse, il ne savait toujours pas comment il allait récupérer le chapelet d'une ombre. Peut-être qu'il ne le méritait pas ? Peut-être que sa prière n'avait pas été suffisante ? Pendant qu'il sombrait dans le désarroi, les tintements de clochettes sur le costume du fou s'accentuaient.

— Mon Jorund, maintenant que tu as retrouvé cette misérable lance, je compte sur toi pour m'offrir un délicieux trépas !

— Un trépas ?

En plus des menaces de ce nain, il entendait un bourdonnement. Face à l'autel, l'ombre du jeune Sylvestre se balançait pendant que les quatre poulains hennissaient.

— Qu'est-ce qui lui arrive ?

— Prépare-toi. L'ire de notre Sylvestre approche !

Les mots de Natas pénétrèrent dans ses entrailles comme de l'huile bouillante. Sous la pression oppressante du bouffon, il assistait aux souffrances de l'ombre de Sylvestre. Le moine poussa des lamentations et sa tunique se déchira. Sa silhouette spectrale se développa et ses bras se transformèrent en d'énormes pattes aux griffes aussi aiguisées que des pointes d'épées. Tandis que les poulains tournaient autour de lui, Sylvestre arracha leurs têtes en balayant ses griffes contre leurs encolures. Puis d'un cri aussi perçant que le carreau d'une arbalète, son corps tourbillonna au-dessus de l'autel.

MiséricordeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant