Chapitre XV : Roc-Géhenne

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Jorund patientait encore auprès des sépultures. Ce n'était plus pour se repentir, mais bien pour se recueillir. Le miracle auquel il avait assisté l'imprégnait encore d'une reconnaissance qui vivifiait son cœur. Malgré tout, cette reconnaissance avait un prix. Son temps s'écoulait et sa quête ne faisait que commencer. Lors de sa profonde méditation, il avait réfléchi à la prochaine tâche qu'il pourrait accomplir. Des songes l'avaient encouragé à reprendre la mer afin de retrouver les corps des enfants noyés. Il avait aussi envisagé de visiter les villages voisins. Cependant, son cœur l'envoyait vers une tout autre direction. Face aux trois croix sur la terre et la neige, il se remémorait le chapelet que portait l'archevêque Sylvestre. Cela pouvait paraître invraisemblable, mais cet objet de dévotion l'appelait. Tout comme cette lance antique, ainsi que ce linceul en piteux état, ce chapelet signifiait quelque chose qui le dépassait. Après tout, le fantôme de son frère ne l'avait-il pas incité à récupérer des reliques ? N'en déplaise à ses espoirs, sa prochaine étape se trouvait à l'intérieur des remparts de Roc-Phénix. Au plus près du nouveau roi.

La nuque tendue, ses jambes vacillaient, d'un bref coup d'œil au-dessus des rameaux, il s'apercevait que le soleil avait grimpé plus haut dans le ciel. Je dois me dépêcher. Sans perdre un instant de plus, il endossa cette étoffe souillée autour de ses épaules. Et, avec l'allure d'un mendiant en fin de vie, il déracina sa lance de la terre afin de quitter les marais.

–––

Les sentiers enneigés se raréfiaient à mesure qu'il se dirigeait vers la haute muraille. Chaque fois qu'il pointait son regard vers les tours et les chemins de ronde, des questions émergeaient dans sa conscience. Quelle était l'utilité d'une forteresse dans un monde dépourvu de vie ? À quoi ces pierres servaient-elles ? Quelle armée pourrait bien se dresser contre cette citadelle ? D'un rictus sinistre, il songea à son serviteur qui siégeait sur son trône. Mais à cette pensée, une langueur lui serra le cœur. N'avait-il pas assassiné son propre frère pour monter sur ce trône ?

— Maudit soit mon nom !

L'esprit révolté contre lui-même, il en oubliait les obstacles sur sa route. Tête baissée, il fonça dans un buisson coloré par la rouille. Aussi piquants que les épines d'un rosier, ses pieds et ses mollets étaient couverts de coupures. Pire encore, sa longue barbe était coincée entre les branches du bosquet « Rahh ! »

D'un coup sec, il arracha les poils de sa barbe. Malgré la douleur et le sang qui dégoulinait le long de ses jambes, rien ne pourrait barrer sa voie vers la cité.

D'une démarche résolue, il s'aidait de sa lance pour ne pas trébucher dans les flaques de boue. Personne ne pouvait prédire quelle monstruosité pouvait se tapir sous les marécages... Au plus il s'approchait des remparts, au plus l'air se réchauffait. À trois lieues derrière lui, la neige n'était déjà plus qu'un lointain souvenir. Les brises s'imprégnaient d'effluves cendreux et même le souffle du vent semblait damné. Son appréhension grimpait, mais il poursuivait sa marche. Se servant de sa lance comme d'un bâton de berger, il atteignit un passage pavé sous la muraille. Sous ses talons, le sol était brûlant. Le linceul sur les épaules lui paraissait désormais bien lourd et inutile. De plus, un grondement ronronnait sous les pavés. La sueur aux tempes, il avait l'impression qu'un dragon gisait dans les souterrains de la cité.

— Du calme, ce n'est que ton imagination. Ce n'est que ton vieux cerveau qui te joue des tours, bredouilla-t-il en se caressant le front.

À l'ombre des remparts, il essayait d'éviter les rayons du soleil. Bientôt à son point culminant, l'astre du jour ne lui apportait plus le réconfort escompté. La chaleur qui régnait auprès de la citadelle était si forte que des souvenirs de pérégrinations remontaient dans son esprit. Jorund avait voyagé de nombreuses fois lors de son règne. Mais même dans les contrées les plus lointaines et les plus désertiques qu'il avait eu la chance d'arpenter, aucune n'avait été aussi pénible à fouler que la cité de Roc-Phénix en ce jour. Il n'aurait jamais imaginé cela possible, mais la sensation frigorifique de la neige contre ses orteils lui manquait déjà.

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