Chapitre XXII : Un raccourci vers le dragon

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À travers les champs et derrière les moulins croulants, ses foulées ne s'étaient jamais arrêtées. Les talons aussi noirs que du charbon, il avait déjà quitté la plaine et il se fiait à ses souvenirs pour continuer. Sans même souffler, il avait compris qu'il n'aurait pas le temps de rejoindre l'accès principal de la cité. Néanmoins, il avait trouvé une bien meilleure idée. Dans sa jeunesse, Jorund avait pris l'habitude de s'échapper du château par les égouts. Cette fois-ci, il comptait emprunter cette voie pour y retourner. Il faut que je retrouve ce puits.

Tandis qu'il traversait les dernières bourgades, la lumière du soleil se ternissait. Devant la lisière des marais, les doutes le submergèrent. Où était donc le puits qu'il avait tant emprunté dans sa jeunesse ? Alors que les marécages se haussaient devant lui, il céda au découragement. Jorund en avait la certitude, ce passage pour accéder aux égouts se situait à cet endroit précis. En plus de cette désillusion, il savait que le soleil ne tarderait pas à sombrer dans la mer. De longues ombres menaçaient déjà ses arrières.

Rebroussant son chemin vers les maisons abandonnées, il se perdait dans l'impuissance. Mais alors qu'il cognait ses talons sur la terre, il nota une potence de bois ainsi qu'une poulie. Le puits se trouvait juste à ses pieds. Lorsqu'il se pencha, il comprit pourquoi il ne l'avait pas reconnu. Le toit avait fondu et le dôme de pierre avait été déchiré. Tout comme son vieux corps, ce puits était méconnaissable. Mais était-il encore praticable ? Tremblant, il empoigna une chaîne qui avait autrefois servi aux habitants des villages alentour à chercher de l'eau. Jorund craignait de se mouiller, cependant, il n'avait pas d'autre choix. Les doigts biscornus sur les maillons en fer, il rampa à l'intérieur de la cavité. Mais alors que la poulie le faisait descendre dans les profondeurs, un craquement vibra entre les parois. En haut, la potence se fissurait sous son poids. Comment avait-il pu omettre ce détail ? Le bois de la potence était pourri. En pleine panique, il se hâta de descendre le long de la chaîne. Entre les crissements des maillons, il sentit la chaîne se déséquilibrer et son corps tanguer. Mais alors qu'il se retenait encore, la potence se brisa et il s'effondra au fond du puits...

Au lieu de plonger dans une eau glacée, il s'effondra à l'intérieur d'un tunnel poussiéreux et couvert de toiles. Le dos tiraillé par la douleur, il sentit une vague de chaleur lui frapper le visage. Le puits était asséché et il n'avait qu'à marcher le long de ce passage pour atteindre le château. Un vrai jeu d'enfant.

Les épaules courbées, il se figea. Soumis à ses propres jambes, il ne parvenait plus à avancer. Dès qu'il hissait un pied au front, l'autre se paralysait. Ce n'était pas l'obscurité, ni même ses maux de dos qui l'empêchaient de marcher. Non, ce qui l'inquiétait était tout autre chose : c'était cette touffeur irrespirable qui régnait partout dans les environs. Les effluves fétides des égouts avaient disparu pour laisser place à une odeur de cendre. Si bien qu'il avait l'impression d'errer dans une cheminée. Ces émanations provenaient des profondeurs. Mais serait-il assez brave pour se rendre dans la tanière du dragon ? L'esprit entrelacé dans la peur, Jorund hésitait et il commençait à douter du pouvoir de ses reliques. Sa couronne était jolie, mais un casque en fer aurait sans doute été d'une meilleure protection ; le linceul qu'il portait pouvait le protéger du froid, mais pas de l'ardeur de ce passage ; la lance était une bonne canne, mais pouvait-elle vraiment trancher la peau d'un être aussi dangereux que...

— Ne pense pas à lui, pas maintenant.

Après de profondes respirations, la pression de son sang diminua et il s'élança enfin dans le tunnel. Les pas légers, il n'eut aucun mal à descendre les premières marches. Mais à mesure que la clarté se raréfiait, il piétina des ossements qui faillirent le faire trébucher. Jorund ne voulait pas savoir à qui appartenaient ces os, il espérait que des rongeurs avaient autrefois vécu ici. Du moins, il n'avait jamais croisé de rats aussi imposants que des loups. Le long des marches, chaque enjambée l'enfonçait plus profondément dans la terre. Pour se rassurer, il tournait souvent la tête vers le filet de lumière que dégageaient certaines fissures sur les plafonds. Il devinait que l'obscurité envahirait bientôt sa voie. Or, il n'aurait jamais cru que les ténèbres auraient englouti le tunnel aussitôt. D'un grincement lent et sifflant, il entendit un rire. Et soudain, tout s'éteignit...

MiséricordeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant