4 Février 2022

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  Lorsque je me lève, je sais que la journée d'aujourd'hui sera chargée : à 18h08, un train m'attend en direction d'Evreux pour retourner chez la mère de mon copain. Heureusement que j'ai payé nos billets à l'avance.

Réveille à 7h30, je prends le temps qu'il faut, bois du thé et rattrape le cours que j'ai manqué mercredi. Je respecte à la ligne l'emploi du temps que je m'étais fixé la vielle et me prépare avant 9 heures. Après cela, je commence à faire à manger. Question pratique : même si je n'ai pas faim maintenant, en revenant des cours j'aurais sans doute la sensation de sentir mon ventre vide et rentrer avec de la nourriture qui m'attend déjà sera plus efficace que de faire à manger et de perdre du temps.

11 heures, je pars de chez moi direction le métro, j'ai 40 minutes de trajets tous les jours. Je déteste être en retard.

Aujourd'hui le cours « Présentation des métiers des sciences sociales » va enfin avoir lieu. J'ai hâte. C m'envoie un message me demandant si sur notre emploi du temps est indiquée la bonne salle de classe. Jusque-là j'étais persuadé que oui, mais le doute commence à venir. Pourquoi je remets constamment ma parole et ma pensée en cause, même dans les situations où je sais pertinemment que j'ai raison ?

Je rentre à ma fac, puis dans ma salle de classe et voit C qui m'attend. Nous attendons toutes les deux la professeure, cette dernière est en retard. Le cours devait normalement commencer à 12 heures, il est 12:12.

Elle arrive, je l'observe, écoute son timbre de voix, elle a l'air gentille. Je pense que je vais aimer ce cours. De son côté, C ne pense pas l'apprécier, car elle fait des remarques sur les personnes qui parlent en même temps qu'elle. Je trouve personnellement cela justifiable et en tout cas moins insupportable que les autres professeurs qui nous indique de sortir de cours si l'on est pas assez concentré et trop préoccuper à papoter. C finit par changer d'avis, nous apprécions toutes les deux cette professeure.

Dialogue entre étudiants et professeure se crée, au sujet de la sociologie, de la politique et des débouchées possible après avoir passé un diplôme de sociologie. CPE est le premier à être posé sur la table. Elle nous demande qui dans la salle a déjà été convoqué chez le.la CPE. Quatre mains se lèvent : la première, celle de A – un ami anarchiste – qui nous explique avoir été convoqué après le blocage de son lycée lors de la loi travail. Un autre garçon a levé la main, lui dans le cas où il s'était battu. La première fille qui a levé la main nous raconte qu'il s'agissait de nombreuse absence et que le CPE à réagi de cette façon : « C'est dommage que vous soyez si peu présente ! Regardez, vous avez de bonnes notes et en plus de cela vous êtes une fille ! » Dans les trois premières personnes je vois des schémas sociaux.

La dernière main à être levé s'agit de la mienne. Je confis très clairement que si j'étais convoquée assez régulièrement au collège, c'est parce que j'avais pas mal de problèmes familiaux, qui ont d'ailleurs duré tout le long de ma scolarité. Je sens ma voix commencer à trembler, mon cœur battre plus fort face à ce que je suis en train de révéler au reste de ma classe, comme s'il s'agissait d'un journal intime. Puis je précise qu'une fois seulement j'ai demandé moi-même un rendez-vous avec la CPE, puis rectifie que c'est en fait une amie du collège, D, qui m'avait incité à cette prise de décision. Comment ne pas se rappeler de ça, quand je sais que la raison pour laquelle j'avais demandé ce rendez-vous est que je m'étais faite agressée sexuellement en troisième par une connaissance de mon ancien copain de l'époque ?

Ma voix tremble de plus en plus, je sens que mon cœur va exploser.

Quand je prononce les mots « agression sexuelle », j'entends des chuchotements se créer, des étonnements.

Les souvenirs me reviennent, comme tous les jours : 18 heures, sortie de l'aide au devoir, décembre, il fait nuit, troisième, j'ai 14 ans. Mon agresseur me demande s'il peut me parler seul à seul, apparemment dans le but de me livrer un message que mon petit copain de l'époque lui a dit de me faire passer, et m'incite donc à prendre avec lui la cage d'escalier loin des autres et que personnes n'emprunte jamais. Je ne me doute de rien et le suis. À quelques pas seulement de sortir du bâtiment et donc de cette cage d'escalier, il me plaque violemment contre le mur. Incompréhension totale. Tétanisée, immobile. Je n'ai plus aucun contrôle sur mon corps. J'ai peur, je suis terrifiée. Il rapproche son visage du mien, ses lèvres de miennes, je ferme les yeux et prie pour que tout soit un cauchemar. Rire. J'ouvre de nouveau les yeux, sceptique, et le regarde. Il éclate de rire. « Tu réagis comme toutes les autres ! » me dit-il, comme s'il avait fait une expérience et que j'étais un de ses vulgaires cobaye.

Qu'est-ce que cela signifie ? A-t-il fait la même chose à d'autres ?

Je me sens sale. Il part, moi reste bien immobile quelques secondes en plus. J'ai du mal à reprendre mes esprits, le contrôle de mes jambes.

Je sors de cette cage des enfers, que je ne verrais plus jamais autrement et m'arrête dans la cours, voyant mon agresseur rejoindre sa bande d'amis, qui semblait l'attendre : « Alors, ton plan à bien marché ?! » lui demanda un de ses amis. « Ouais, grave ! » lui répondit celui qui venait de créer chez moi un de mes premiers grands traumatisme. L'enthousiasme avec lequel il avait répondu créa chez moi des sueurs froides. Je dois partir, loin, vite rentrer chez moi. Je presse le pas pour vite sortir du collège sans interpeler les surveillants et dès que je dépasse la grille, je cours en direction de chez moi.

Je pleure.

Je suis traumatisée.

Raconter cela à mon père et à sa nouvelle compagne de l'époque ne m'a pas soigné de cette peur. « Ne t'approche plus de lui » m'avait-elle conseillée, comme si j'étais responsable de cet événement. Au collège, dès que je le voyais, je l'esquivais. Je suis resté dans ce silence au côté de mes amis pendant 2 ou 3 mois. Mais la fois de trop fut pendant le cross scolaire. Il me faisait plus peur que les fois précédentes et j'ai tenté de lui mettre un coup de poings, folle de rage. Il partit, sous les conseils de mes amis et de mon copain et je ne pu m'empêcher de m'effondrer en larme.

Heure des aveux.

Je prends réellement conscience : j'ai été agressée sexuellement.

D me conseille, ou plutôt m'ordonne de prendre rendez-vous chez la CPE. Je ne peux pas faire cela toute seule, je n'en ai pas la force. Elle m'accompagne. Résultat : mon agresseur est renvoyé temporairement du collège, quelques jours et la conseillère me conseille de ne pas me rapprocher de lui quand il reviendra, et de revenir la voir en cas de nécessité, s'il recommence à m'embêter.

Me rappeler de ce genre d'événement n'est que mon quotidien.

Je pense que ce cours sera mon préféré de la semaine. Me détendre avec la professeure, discuter avec elle, débattre, sentir cette harmonie dans une relation professeure/étudiante me fait du bien, je me sens à ma place.

Le cours se finit, je n'ai pas vu le temps passer.

Je peux cocher la case « imprimer les e-billets de train » qu'il y avait sur ma liste de choses à faire.

Je prends le métro, rentre chez moi. J'ai faim. Je me remercie intérieurement d'avoir préparé à manger tôt le matin. J'entre mes clefs dans la serrure et observe que la porte est restée ouverte. Est-ce que Jules n'a au final pas eu cours ? Non, il avait juste oublié de fermer la porte à clef. Je soupire et rigole nerveusement.

Après avoir mangé je prépare la valise. Il est 16 heures, je dois partir à 17 heures. Lorsque j'ai fini je continue la lecture de mon livre – dont j'ai déjà lu quelques pages ce matin – et réussi à atteindre la page 102. Sentiments de fierté, surtout en sachant que le livre fait plus de 300 pages.

Il est temps de partir, je ferme bien la porte à clefs et me met en route pour la gare de Paris Saint-Lazare avec mon amant.

Problème de train, on avait presque perdu l'habitude.

Une fois dans le train, on cherche notre place après avoir déposé nos valises. Pour la première fois de notre vie, nous avons été dans le rôle de celui qui dit à d'autres que la place sur laquelle elle est, est réservée. Dans le rôle des personnes que nous avons haïe tout les deux lorsque nous n'avions pas encore trouvé de logement à Aubervilliers et que nous devions donc, faire le trajet tous les jours, matin et soir, d'Evreux jusque Paris et inversement. Sentiments de mal-être. On s'excuse beaucoup de fois, peut-être trop, et remercions la personne de nous laisser la place.

1 heure environ de trajet. Sur la route j'écoute de la musique, prend des notes sur les points important de la journée.

Faire le bilan d'une journée entière devient fatiguant. Je ne pense pas que j'écrirais tous les jours, je réserverai ça à des jours pertinents.

Retrouver la famille de Jules, que je considère maintenant comme la mienne, m'emplit d'un sentiment de bonheur, de chaleur.

Je me sens bien.

Journal des penséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant