AOÛT : Illusion

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  Le soleil illumine les arbres, reflète la rosée du matin sur l'herbe fraîchement découpée...

Les feuilles commencent à tomber, prenant une couleur rouge, orange ou jaune, donnant aux arbres cette chaleur que j'aime tant. L'automne est là.
Marcher tantôt sur le béton trempé, dont se distinguent quelques flaques d'eau plus ou moins profonde, tantôt dans l'herbe mouillé de manière intentionnelle, dans le but de sentir la fraîcheur matinale.

Sentir le vent frais me mordre, me caresser les bras, le visage.

Il me pique les joues.


Arriver devant ce bâtiment, attendre, attendre, regarder mon téléphone pour vérifier l'heure, adosser contre la grille, attendre, scruter au loin si une voiture que je connais bien arrive ou non, ce n'est toujours pas le cas, attendre alors encore un peu.

Sortir mon carnet, entrer dans ce collège avec quelques-unes de mes amies, rire de bon cœur, tout semble aller pour le mieux, tout va bien même.

Passer une journée de cours comme les autres, écrire, écouter les proffesseur·e.s, faire les exercices, heure de la récréation, reprendre les cours, noter, corriger, heure du repas, rester avec une de mes amies qui mange au self comme moi, attendre les autres une fois fini de m'être rassasiée, reprendre les cours pour sans doute finir cette journée et enfin rentrer chez moi.

« Enfin » : j'attends ce moment avec impatience.

« Impatience » : Je dirais plutôt appréhension.

Je vois la vie en - rouge, comme n'importe quel thriller ou autre film d'horreur, sachant très bien qu'un moment ou à un autre, l'antagoniste pointera le bout de son nez et fera de la vie du héros un véritable enfer - rose, recouverte de bulle et de paillette comme n'importe quel shojo.

Pourquoi mes joues me piquaient-elles au contact de cet air frais, matinal ?

Parce que tant l'angoisse était forte, je me griffais moi-même mes joues sur le chemin du collège. L'appréhension d'aller dans ce lieu où je vais sans doute me faire harceler, l'appréhension d'aller au collège après ce qu'il s'est sans doute passé hier soir chez moi.

« C'est les traces de mon oreiller ! » pouvais-je dire à mes ami·e·s lorsqu'elles pouvaient me demander d'où venaient ses marques.

Elles ne sont pas bêtes.

Elles pouvaient très bien se douter que cela n'était pas « les traces de mon oreiller ».


Faire en sorte de passer le plus de temps dehors, sur le chemin du retour, pour passer moins de temps à la maison. Loin du bruit, loin des cris, loin des coups, loin des disputes, loin des prises de tête, loin des casses, loin des grabuges, loin de cette puanteur que certains qualifieraient d'aphrodisiaque, loin de cette fumée toxique, loin de ces liquides brûlant la gorge, loin de ces élixirs magiques pouvant transformer une personne en son opposé, loin de tout.

Mais être obligée de passer le seuil de la porte. Obligée de l'ouvrir. Obligée d'en prendre la poignée. Obligée d'y insérer les clefs dans la serrure.

Obligée de tout, de tout supporter.

Même les douleurs les plus insoutenables.

Obligée.

Désormais proche de tout ce que je voulais fuir.


Aussi heureux que soit mes souvenirs, ceux construits artificiellement ou ceux construits grâce à mon vécu, je n'arrivais pas à être heureuse à cette époque-là. L'environnement dans lequel je baignais tous les jours de cette vie misérable m'en empêchait.


Non.

Qu'importe ma volonté de construire ce bonheur, il est faux, inexistant, erroné, falsifié, utopique, imaginaire, illusoire.

Me crée ce bonheur me fait encore plus mal que de supporter ce quotidien lourd. Pourquoi ? Parce qu'il m'est impossible à posséder, loin de ma portée.

Pourquoi me faire souffrir davantage ?

  ILLUSION : 1). Interprétation fausse de ce que l'on perçoit. 2). Apparence dépourvue de réalité (Définition selon le moteur de recherche Google).

La définition d'un monde illusoire serait donc en soi un monde, un univers dans lequel le créateur baigne dans une réalité construite de toute pièce par lui-même, l'empêchant de percevoir correctement le monde réel auquel il appartient.


Pourquoi me créer un monde illusoire si au final ce dernier me fait plus mal que la réalité ?

Pourquoi est-ce que je me pose cette question ? Je connais la réponse à cette énigme.

Fuir. Courir loin de tout. Loin de cette souffrance. Loin de cette réalité qui me fit mal, me sectionne, me cisaille, me torture. Elle est trop dure à supporter.

Alors me voilà devenu Dieu en quelque sorte. Je me crée un monde, un univers, des habitants, des règles fixes, des ami.e.s, une famille qui sera sans doute différente et meilleure que la mienne.

Ce monde fixera mon bonheur.

Ce monde me rendra heureuse.


Il faudrait que je sois forte, que je combatte le monde dans lequel je suis, que je le subisse, mais je le fais déjà. Je le subis, encore et encore. Je mens à mes ami.e.s en leurs disant que  «tout va bien », en m'inventant une vie heureuse, comme la leur, avec des parents responsables.


Suis-je seule à agir ainsi ? Suis-je folle de me protéger de cette manière ? Suis-je faible ?

Non.

Je suis vulnérable, il est clair.

Mais je sais que je ne suis pas la seule. Mon père, par exemple, en se réfugiant dans l'alcool et le mensonge de soi se créer aussi un monde illusoire.

J'ai entendu l'expression « paradis artificiel » lorsque l'on parle d'alcoolisme. Cela se vaut également pour mon père, ainsi que pour toutes les personnes qu'il côtoie. Je ne suis donc pas seule.


Je sais que cette logique est toxique.

Je sais que c'est mal de faire ça.

Mais la sensation de bonheur qui en résulte est si bonne...


Mais illusoire.


Réussirais-je un jour à m'en défaire ? Il le faut. Faute de quoi je resterais dans un déni, comme le fait mon père. Des questions resterons sans retour, alors que leurs réponses sont pourtant si simples à connaître. Qu'importe le degré de bonheur atteint par ce monde, il en reste faux, loin du réel. Et je risque de tomber bien bas lorsque ce monde aura atteint son apogée.

Lorsque j'aurais réussi à me défaire de ce monde, j'aurais sûrement une vie plus stable, j'atteindrais sûrement pour la première fois le vrai bonheur. Et il s'agit d'un sentiment que je veux vivre et non créer.

Je ne sais pas quand est-ce que je réussirais à m'en défaire, ou même quand est-ce que mon père réussira également, mais lorsque j'aurais fait cette avancée, ce pas en avant, je pense que je serais fière de moi.




Je le suis.

Je suis fière de moi à présent.

Et je me suis fixé.e un objectif : aider les personnes dans la même situation, dans les mêmes illusions.

Journal des penséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant