Celle et celui que je suis

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Mon genre.


Remontons un peu dans le temps, si tu le veux bien.

Me connais-tu vraiment ?

Souviens-toi de ce que tu es.

De ce que je suis.



Il était beau ce t-shirt. Elles étaient belles ces chaussures. « Ah, désolée mademoiselle, mais il s'agit du rayon homme/garçon », suivit d'un petit rire. Gêné, jugeur ? Peut-être les deux.

« Les pieds n'ont pas la même forme entre filles et garçon » m'avait dit mon père une fois alors qu'on me cherchait une nouvelle paire. C'est absurde. Un pied est un pied, il reste le même qu'on soit fille ou garçon.

J'ai dû me résoudre à choisir des bottines qui avaient vaguement un design de santiag pour hommes.

Pourquoi n'aurais-je pas le droit de porter ces vêtements ? Ils étaient beaux, ils me plaisaient. Ce n'est pas le plus important ?


Non. Voilà ce que je dois faire : porter des chaussures de filles, porter des vêtements de filles, des couleurs de filles, des tissus de filles, des médiocres bouts de tissus sans importance dont on a donné un code social, une valeur, une appartenance.

Je n'aime pas les jupes, du moins pas énormément, surtout si je ne porte pas de collant en dessous. Je me sens à nue quand j'en porte, agressée par le monde extérieur.

« N'escalade pas aux arbres, surtout avec une jupe ! » combien de fois as-tu entendu cette phrase déplaisante ? Te retenir dans ta liberté de mouvement, ton amusement.

« De toute façon une fille n'escalade pas aux arbres ». Ah oui ? Très bien ! Tu escaladais alors les arbres, te donner à fond dans les matières les plus masculines à l'école, en particulier le sport, et écartait les jambes lorsque tu t'asseyais, même avec une jupe, surtout avec une jupe. Position plus confortable, désolée mais merci.

Un vrai « garçon manqué » dans l'âme.



Tu jouais aux jeux vidéos, lisais des mangas et les brandissant, te faisant insulter, critiquée, méprisée au passage.

Tu te sentais différente, loin d'eux, et eux tout aussi loin, incapable de te comprendre, d'envisager ce que tu pouvais être. Une sorte d'anomalie, mélange entre garçon et fille, inimaginable, indéfinissable.

L'on te bousculait dans tous les sens pour que tu deviennes une fille, une belle fille, une femme ensuite, en particulier à la poussée des seins et à l'élargissement des hanches, à la venue des règles. Ce rouge, habituellement couleur adressée aux hommes, Spiderman était mon héro mais surtout celui de mon frère, tandis que j'avais le droit aux barbies que je détestais, ce rouge était synonyme d'enfin devenir une femme.

Cette distance, tu, on, je la ressentais toute mon enfance. Mais ces traumatismes où l'on usais de mon corps de femme me revenais à ce que j'étais, à mon sexe.


Femme.


Ainsi, tous les synonymes qui vont avec : objet, objet sexuel, sac à foutre, existence non-écoutée, esclaves du désir des hommes, être ignoré.

Ces viols, ces agressions sexuelles, violences pédophiles, harcèlements, etc, tous te rappellent ce que tu es. Une femme.

Alors j'effaçais ce que je ressentais, me pliais aux vêtements que l'on me donnait, que l'on m'ordonnait de porter, que je m'efforçais d'aimer. Pour qu'ils·elles me laissent tous tranquille, une bonne fois pour toutes.

Naïve ! Belles naïves...

Ils·elles ne te lâcheront pas. Croyant que tu n'étais pas assez féminine, pour absence de mère, que tu reniais cette partie de toi.

Je veux juste porter ce que je veux.


Mais porter enfin un nom concret à ce que je suis a été long, si long, et pourtant si présent.

Je me souviendrais toujours de ce déclencheur encore plus brutal que tous les autres lorsque, au lycée, je me suis senti homme. Ressentant son sexe, son torse, sa musculature, son corps. Troublée, demandant de l'aide à mes ami·e·s sur ce qu'il m'arrivait, car je me sentais tout de même majoritairement femme.

Genderfluid.

Ce mot a été ma réponse.

Ce mot qui signifia également que je n'appartenais pas à la binarité voulue par l'ordre de l'homme hétéropatriarcal cisgenre.


Je m'identifiais plus tard comme iel, comme trans sans pour autant avoir la volonté de me faire opérer, de prendre un traitement hormonal, de changer mon prénom sur ma carte d'identité. J'ai bien-évidemment une identité masculine, un prénom qui est celui d'Evan, mais il n'est pas celui que je m'approprie tout le temps. Par contre je mets une importance particulière à ce que l'on m'appelle comme ça quand je me sens homme.

Je ne l'ai révélé à encore personne de ma famille, excepté ma sœur, par accident. Que dirait mon père qui porte déjà des propos homophobes en ce qui concerne ma transidentité ? Que dirait la sœur de mon copain qui porte ouvertement des propos transphobes à mon sujet si je venais à faire mon coming out ?

Et dire que tu as failli le faire à ton anniversaire, pour défendre tes propos...

L'ambiance aurait-elle été différente si les choses se seraient passées ainsi ?

Journal des penséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant