La peur est un sentiment humain que nous partageons tous ici en ce monde. Je l'ai ressentie lorsque je me suis faite agressée sexuellement au collège, témoignage que j'ai raconté dans le chapitre précédent.
On peut ressentir de la peur pour nous-même, lorsqu'on pense que notre vie est en danger par exemple, mais aussi pour autrui. Lorsqu'il arrive des choses aux personnes que l'on aime, on a peur pour eux. On se soucie d'eux, de leurs vies.
Me concernant, j'ai toujours eu peur pour les personnes que j'aime : quand j'ai appris que mon père s'était ouvert la jambe lors d'un accident de travail au collège, j'ai eu peur. Lorsque j'ai appris que ma sœur avait subi elle aussi de son côté l'alcoolisme de mon père, de manière physique, j'ai eu peur. Et lorsque je sais que la vie de la personne que j'aime tient sur un fil, dû au fait qu'il a d'énorme tendance dépressive et à la destruction de son corps, j'ai peur. C'est normal de partager cette peur pour les personnes que l'on aime, même rassurant. Ça nous rassure dans le sens où il s'agit d'une preuve de notre humanité.
Je pense que la plus grande peur que j'ai ressentie était à mes 7 ans, lorsque mes parents se sont disputés pour la dernière fois avant de divorcer, la veille de l'anniversaire de mes 8 ans. Le fait que nous étions tous les trois dans le salon, mon grand frère, ma petite sœur et moi, où les meubles avait été basculé par mon père car fou de rage, n'avais rien de rassurant. Le fait de les entendre crier dans l'entrée juste à côté et la cuisine également à côté n'avais rien pour nous rassurer. Encore moins en sachant que ma mère balançait des couteaux à mon père.
Rien n'était rassurant dans cette situation.
Et savoir que pour atteindre notre chambre nous devions passer par l'entrée où avait justement lieu cette dispute ne nous rassurait pas plus.
Comment peut-on être aussi inconscient ?
Penser à ça me rappelle tout ce que j'ai vécu avec ma famille, le milieu d'où je viens. J'ai de plus en plus l'impression de m'éloigner d'eux en pensant à ça. En les regardant. Comme si une distance invisible était en train de se créer, comme si une immense faille se creusait entre nous, qu'elle devenait de plus en plus large et profonde. Lorsque je parlais à mon père de philosophie, de sociologie, de politique, il avait l'air ignorant de beaucoup de chose. Et à vrai dire j'étais pareille avant. Il me questionnait toujours sur ma scolarité en filière générale : « alors c'est comment le lycée, t'as appris quoi d'beau ? » ou alors « tu sais, moi je suis fière de vous voir vous épanouir, apprendre plus de chose que moi, c'est même quelque chose qui me rend fier ! Tu sais, j'ai arrêté l'école très jeune et j'ai dû aller à l'armée pour m'en sortir parce que je savais que ma mère ne pouvait pas m'aider. ». Il nous racontait beaucoup l'histoire de sa famille. Il souhaitait que l'on grimpe dans l'échelle sociale et il disait toujours qu'il était fier de moi, de mes résultats, de mes notes, ce qui a vite dégénéré en pression parentale sans qu'il ne le sache. Il voulait nous voir apprendre, car lui n'avait pas pu le faire.
J'ai encore pensé aux conditions de vie de ma famille lorsque je me suis rendue à la conférence d'Anasse Kazib aujourd'hui soir à la place du Panthéon avec mon copain. Accessoirement c'est la première fois que je voyais ce monument. C'est dans ses moments là, où je vois toutes ces personnes se réunir qui pensent la même chose que moi, sont comme moi, que je me dis que toutes ses années de désespoirs où je pensais être seule, où je croyais me plaindre parce que je voyais le monde et ces méandres, je me rends compte dans ces moments-là que je ne lui suis pas, que je ne me plains pas et que je ne fais que réclamer mes droits.
Mais c'est aussi là que j'observe une distance se faire avec mon père. Il a, disons toujours eu certaines idées que personnellement je ne trouve pas éthique et enrageantes à entendre. Là où moi essayait de lui faire comprendre le déterminisme social, lui me parlait toujours de libre-arbitre. De même lorsque je lui faisais part de féminisme, d'anti-racisme et que lui tirait des propos dans le sens contraire aux miens, rien que par des appellations racistes ou sexistes. J'essayais parfois de défendre ma petite sœur, qui a toujours eu un style vestimentaire où elle aimait montrer son corps, et où ça me plaisait de la voir s'épanouir, contre ce que pouvait dire mon père et même son ancienne compagne sur ses potentielles agressions sexuelles et que dans ces cas là, je cite : « Elle n 'aura qu'à pas être surprise le jour elle se fera violer ou engrosser ! ». Comment peut-on tirer ce genre de propos quand on est nous-même une femme ?
Grâce à ma sœur j'ai même commencé à porter des collants par-dessous mes shorts. Cela me fait rire.
Je dis bien « essayais parfois de la défendre » parce que la plupart du temps je n'osais pas parler contre la voix de mon père. J'ai toujours été éduquée pour être la petite fille sage, obéissante, alors j'ai toujours eu du mal, et encore maintenant, à sortir de ce cocon. La seule fois où j'ai essayé de le briser était lorsque j'ai fait par de mes convictions politique à mon père et que si un jour je devais mourir pour elle, alors je le ferais. Il a rétorqué « Alors dans ce cas j'en voudrais à la famille du copain de ma fille pour l'avoir endoctriné ! ». J'étais abasourdie devant ce mot si violent.
Cette histoire c'est celle de ma famille et par conséquent la mienne. Et savoir que mon père fait encore des « bêtises » à cause de l'alcool me rend profondément triste. Je pense à ma sœur qui vis encore ça, je devrais l'appeler plus souvent. À vraie dire je n'ai jamais vraiment su quelle approche il faudrait que j'aie de la famille de manière générale...
En écrivant ce texte je pense au livre « La Place » d'A. Ernaux. Lorsque j'ai découvert ce texte en cours de Transformations sociales lors de mon premier semestre, je n'ai pas pu m'empêcher de lire le livre après. Je me reconnaissais tellement à travers ce que l'auteure décrivait. La pauvreté de sa famille, les problèmes de santé du père, la distance qui commençait à se creuser entre son univers – qui commençait à devenir de plus en plus intellectuel – et celui de son père, de son milieu d'origine.
Lorsque j'écris ce journal, je fais un peu comme elle. Par le biais de partage de pensées, je livre mon histoire, qui je suis. Je permets à d'autre de leurs donner une histoire vraie. Elle n'est pas parfaite, loin d'être fantasmée, mais elle est similaire à sans doute nombre d'autres personnes. Et rien que pour ça, j'aime ce que je fais, j'aime écrire ce journal et le partager aux personnes sur cette plateforme.
Mon copain me disait souvent que ma vie pourrait être un roman d'E. Zola. Cela m'a toujours fait rire, mais ce « roman » comme il le dit, je suis loin d'être la seule à le vivre. Et rien que partager mon existence à des personnes qui se reconnaîtront là-dedans, dédiaboliser ça, tout ce travail me permet d'aider autrui. Et ceci est une des nombreuses raisons qui me motive dans l'écriture et le partage de ce journal.
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Journal des pensées
Non-FictionChaque jour des pensées me traversent l'esprit. Des réflexions du quotidien, des questions ou des remarques que tout le monde pense, c'est normal, c'est humain. J'analyse quotidiennement ce que je vois. Je me vois et je m'analyse. Alors j'ai eu l'id...