Chapitre 1

290 46 193
                                    

     Le soir tombait sur le manoir de Bellenuit. Et comme souvent avant le coucher, les cris résonnaient dans les couloirs.

     Mes sœurs n'avaient jamais été très douées en matière de discrétion. Les jumelles en particulier rendaient folles notre aînée, Marietta, qui se battait déjà pour les convaincre d'aller se coucher. Gemma et Georgia avaient débuté une toute nouvelle expérience dans leur chambre et ne semblaient pas vouloir la lâcher, provoquant un raffut qui fit grincer plus d'une mâchoire. Je me demandais souvent si mère nous entendait depuis sa chambre à l'étage. Elle devait être épuisée.

     Alors que Marietta continuait de courir après les filles dans le couloir, je passai devant les chambres de mes autres sœurs. Calista, seconde de notre fratrie, se brossait les cheveux en fredonnant devant son miroir. Elle me regarda à peine quand je lui souhaitai une bonne nuit.

     Un peu plus loin, je découvris Meryl, notre cadette, le nez plongé dans l'un de ses livres. Elle non plus ne leva pas les yeux pour me saluer, mais je ne lui en voulais pas. Il me semblait préférable d'être ignorée par quelqu'un plongé dans sa lecture plutôt que par quelqu'un trop occupé à se mirer. J'en arrivais presque à me demander si Calista n'était pas un peu narcissique, à l'image de la Déesse de l'Amour, Amore. Naître sous son égide était promesse de gloire et de beauté, ce qui, en contrepartie, semblait vous pourvoir d'un égo bien gonflé.

     Je jetai un regard à Liam à mon côté. Sa petite main serrait la mienne avec force alors même que je le voyais commencer à somnoler. Notre benjamin semblait capable de s'accoutumer à tout. Pour ma part, je ne croyais pas pouvoir m'assoupir avec un boucan pareil. Mais, après tout, il n'avait que sept ans.

     Parvenus à sa chambre, je l'aidai à s'installer dans ses couvertures. Au dehors, je pouvais entendre les filles continuer de se chamailler. Quelque chose se brisa ; j'imaginai les jumelles tenter d'empêcher Marietta de les suivre. Je secouai la tête. Seize ans et incapables de maturité en dehors de leurs expériences.

     – Tu crois que Marietta soufflera cette fois ? demanda Liam d'une voix ensommeillée.

     – Je n'espère pas, répondis-je en allumant la veilleuse sur sa table de chevet.

     Celle-ci se mit à tourner, projetant des silhouettes de chevaux ailés et d'étoiles filantes sur les murs bleu ciel.

     – Tu ne voudrais pas sentir le brûlé depuis ta chambre, si ?

     Mon frère fronça le nez et secoua la tête. Je souris.

     Marietta, comme beaucoup d'autres enfants, avait hérité d'un don des dieux. Née sous l'égide d'Hestia, la Déesse du Foyer, nous ne fûmes pas surpris quand, un jour, ma sœur s'était mise à souffler des flammes comme un dragon, incendiant une partie du boudoir de notre mère où Calista s'était amusée à l'embêter.

     Il n'y avait pas eu de blessés, bien sûr ; Marietta n'était pas du genre à faire du mal volontairement. Mais les dégâts coûtèrent une petite fortune et elle fut grandement réprimandée. Depuis, ma sœur faisait preuve d'une retenue exemplaire. Je ne comprenais pas comment elle faisait pour se contenir ainsi alors que Calista et les jumelles prenaient un malin plaisir à l'énerver.

     – Bonne nuit, Liam, dis-je en l'embrassant sur le front.

     – Bonne nuit, Adaline.

     Je me levai pour partir quand je sentis une petite main s'accrocher à la manche de ma chemise de nuit. En me retournant, je découvris mon frère, le regard suppliant.

     – Tu viendras me voir cette nuit ?

     Je me raidis, jetant un regard mal à l'aise en direction du couloir. Les bruits étaient plus ténus maintenant que Liam était au lit, mais je pouvais toujours entendre Marietta rouspéter après les jumelles. Je finis par me tourner vers lui, me rasseyant doucement sur le rebord du lit.

De Rêve et de CauchemarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant