Chapitre 6

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    Quand je relevai les yeux des notes de mon frère, le soir était tombé. Je n'avais même pas remarqué que les lumières de la bibliothèque avaient été allumées. À côté de moi, Liam somnolait, à moitié avachi sur le bureau sur lequel nous nous étions installés.

     Je souris, attendrie, et le secouai gentiment. Il se réveilla et se frotta les yeux en grommelant.

     – Debout la marmotte, c'est l'heure de manger, annonçai-je en rangeant ses livres de cours.

     Liam m'offrit un sourire un peu engourdi et s'étira, titubant un peu sur ses petites jambes. Je lui tendis la main et nous partîmes en direction de la salle à manger.

     Dans l'après-midi, il m'avait semblé que les bruits à l'étage s'étaient un peu calmés. Mais, en arrivant dans le couloir, je compris mon erreur. Calista s'était tu, mais j'entendais encore Marietta batailler contre les jumelles à grand renfort de cris, sa voix se mêlant par intermittence à des remontrances au ton sec que j'attribuais sans mal à Meryl. Avaient-elles réellement passé l'après-midi à se chamailler avec les jumelles ?

     En tournant à l'angle, je manquai percuter Rhen. Quand nos regards se croisèrent, je lus la surprise briller dans le sien, ainsi qu'un intense soulagement qui le fit soupirer.

     – Pardon, fit-il en se frottant la nuque, mal à l'aise.

     – Ce n'est rien. Vous êtes perdu ?

     Il semblait perdu. Et je n'aurai pas été surprise qu'il le soit, le manoir était assez grand pour s'y perdre. Mais dans ce cas, où étaient passé père et tante Vitali ? Père n'aurait jamais laissé un inconnu se balader dans les couloirs sans surveillance. À tous les coups, Vitali avait dû l'emporter dans une énième discussion sans fin dans son bureau. Dans ces moments-là, ils ne faisaient plus du tout attention au monde. Et ça se finissait souvent en dispute.

     Rhen regarda par-dessus son épaule avec anxiété. On aurait dit une bête traquée.

     – On peut dire ça... En fait, fit-il en se penchant pour murmurer, j'essaie d'échapper à vos sœurs.

     Il se redressa, regardant l'escalier qu'il venait de descendre en flèche avec inquiétude. Je dus me mordre la joue pour ne pas rire. Voilà qui expliquait le silence de ma sœur. Passé l'épreuve des dessous éparpillés, elle avait dû repartir à la chasse. Pas étonnant que Marietta se soit concentrée sur les jumelles. Tenter d'arrêter Calista lorsqu'elle décidait de courir après un garçon était aussi efficace que d'essayer d'attraper de la fumée avec les mains.

     – Elles sont un peu...

     – Turbulentes ? proposai-je.

     Il y avait tant de mots pour les qualifier.

     – Oui... oui, c'est ça.

     J'eus presque de la peine pour lui. Calista devait rêver de l'embrasser. Séduire l'amusait beaucoup et Rhen devait représenter un défi de taille. Quel beau trophée elle ajouterait là à sa collection ! Un étranger qui la fuyait comme la peste, c'était bien plus distrayant que toutes ces pauvres âmes qu'elle avait déjà à sa botte en ville. Dans un roman, je l'imaginais bien en dévoreuse de cœur. Heureusement qu'elle n'avait hérité que de la voix d'Amore, j'osais à peine penser au chaos qu'elle aurait pu provoquer avec un autre de ses dons...

     À l'étage, des cris se firent de nouveau entendre, suivit d'un long sifflement strident qui n'annonçait rien qui vaille. Je soupirai.

     – Mère ne pourra jamais se reposer avec un tel boucan...

De Rêve et de CauchemarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant