Chapitre 24

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      La dernière fois que j'étais entrée dans le Temple de la Nuit, c'était aux Sélénites de l'an dernier. Père avait longuement insisté pour que nous l'y accompagnions, lui qui priait si souvent sa Déesse de Naissance. Je me souviens du calme qui régnait dans l'édifice, le même que dans celui du Temple des Rêves, apaisant.

     Ce matin-là, pourtant, le silence qui nous entourait me mettait mal à l'aise. Il était rempli de larmes et de regrets, d'habits noirs et de chagrin. L'ambiance y était pesante, plus étouffante encore qu'au manoir lors des préparatifs.

     Un enchevêtrement de bougies nous accueillit à notre arrivée au temple, s'alignant de part et d'autre à l'entrée de la nef dans le grand hall. Leur cire fondue formait comme un rideau ivoire coulant jusqu'au sol en damier.

     Avec précaution, chacun de nous en alluma une nouvelle et la déposa où il pouvait. J'aidai Liam à allumer la sienne, très peu désireuse de le voir se brûler les doigts. Mon petit frère n'avait pas dit un mot depuis que je lui avais enfilé cet affreux costume noir. Cela me brisait le cœur de le voir ainsi accoutré. Tu n'aurais jamais dû connaître pareille épreuve si tôt... songeai-je en moi-même en l'aidant à placer sa bougie quelque part sur le promontoire.

     Puis, sans lâcher la main de Liam, nous suivîmes le prêtre aspirant chargé de nous guider jusqu'à la chambre funéraire où le corps de Calista avait été mis en bière.

     Tant de monde était venu pleurer ma sœur... Une grande partie de cette foule en noir, mouchoir en main, paraissait constituée de jeunes hommes. Il me semblait en reconnaître certains, d'anciens partenaires de ma sœur, des amants éconduits ou simplement des visiteurs venus admirer les Sélénites nocturniennes et étant tombés en amour pour Calista lors du concert.

     Je songeai avec un certain amusement que ma sœur était parvenue à leur briser le cœur à tous deux fois. Quelle autre jeune fille pouvait se targuer d'un tel exploit ? Puis la sombre réalité me rattrapa et je sentis le faible éclat de joie qui m'avait envahi s'évaporer.

     La chambre funéraire n'était pas très grande mais permettait d'accueillir un certain nombre de personnes. Les murs couleurs de nuit étaient décorés de fines constellations. Le sol était d'un magnifique marbre gris perle et le plafond un entrelacs d'étoffes soyeuses comme un ciel nocturne d'où pendaient croissants de lune dorés et étoiles scintillantes. Enfin, trônant fièrement au fond de la pièce, se trouvait le cercueil de ma sœur. Ouvert.

     Je retins mon souffle.

     Alors que nous prenions place sur les chaises alignées devant le cercueil, père s'avança sur l'estrade, une rose blanche à la main. Je ne remarquai qu'à cet instant qu'il arborait le blason de la famille sur son gilet noire : une belle-de-nuit d'argent. J'aurais préféré le voir ressortir ce joyau pour une plus belle occasion que les funérailles de ma sœur.

     J'ignorais où Marietta puisait la force de se tenir droite alors même que Meryl et les jumelles s'accrochaient à elle comme à une bouée larmes. Seules quelques larmes silencieuses lui échappèrent, montrant tout le chagrin qu'elle gardait à l'intérieur.

     Moi, je n'arrivais même plus à pleurer. Mes yeux étaient secs, ma gorge brûlante. Tante Vitali disait que c'était normal, que c'était le choc, que, bientôt, je pleurerai aussi fort que mes sœurs, quand je réaliserai... Mais, pour le moment, seul le remord et la culpabilité m'habitaient.

     Je l'avais vu mourir. Deux fois. Et je n'avais pu empêcher aucune de ces morts.

     Je fermai les yeux, serrai les dents. Je me sentais tellement impuissante, tellement en colère.

De Rêve et de CauchemarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant