Chapitre 14

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     Marietta passa près d'une heure à m'aider à me préparer, allant même jusqu'à batailler pour nouer mes cheveux de rubans couleur de nuit. Face à ce combat perdu d'avance, ma sœur se rabattit sur une longue tresse en épis de blé – ses préférées – qu'elle enroula en un chignon bien serré qui me fit grimacer tant il me tirait les cheveux. Quelques mèches vagabondes encadraient mon visage. En me regardant, ma sœur sourit.

     – Tu es superbe.

     – Merci, répondis-je timidement. Toi aussi.

     Ses cheveux roux étaient noués en une couronne de tresses piqueté d'épingles en forme d'étoiles. Elle portait une robe semblable à la mienne, de mousseline indigo dont la sur-jupe était faite d'un voile de tulle noire moucheté d'argent. Un boléro de soie ébène en recouvrait le bustier, fermé par une broche en forme de belle-de-nuit en argent que nous arborions tous ce soir.

     – Merci.

     Quand je glissai la clé d'Asling dans mon corsage, Marietta me regarda curieusement.

     – Pourquoi la caches-tu ainsi ? Tu la portes tout le temps, mais tu ne la montres jamais.

     J'ouvris la bouche, mais ne sus quoi dire. En croisant le regard de mon reflet dans la glace, je grimaçai. Mes cernes étaient plus foncés que je ne croyais.

     – Je... j'ai peur qu'on ne me la vole, balbutiai-je finalement.

     – Qui voudrais te voler une vieille clé comme elle ? s'amusa ma sœur en rangeant ses brosses et ses épingles.

     Je ne répondis pas. Ce dont j'avais peur, ce n'était même pas tant qu'on la voit, mais plutôt qu'on la reconnaisse, que les autres comprennent que j'avais accès aux portes d'Asling et, par conséquent, à leurs rêves. Je me souvenais encore très bien de la réaction de Marietta quand je lui avais parlé de mon don. Au-delà du choc et de son inquiétude, c'était l'indignation qui avait le plus briller dans ses yeux, l'indignation de comprendre que j'avais accès à ses secrets les plus intimes. Le monde des rêves n'était pas qu'un monde merveilleux, il était aussi une porte sur le subconscient des gens, là où les pensées profondes se cachaient, là où les secrets grouillaient.

     Si je portais fièrement cette clé autour du cou, je risquais d'attirer la colère et la méfiance des autres. « Ne plonge pas dans mes rêves. », « N'approche pas de mes nuits. », « J'ai fait un rêve étrange, je parie que c'était toi. ». Ces remarques, j'étais certaine de les recevoir si je portais cette clé. Et même s'il s'agissait de blagues innocentes, cela restait blessant.

     Remarquant mon silence, Marietta parut mal à l'aise et décida de changer de sujet, m'invitant à rejoindre le reste de la famille qui attendait dans le hall.

     Tous étaient habillés aux couleurs de la nuit, mes couleurs préférées.

     Quand je croisai le regard de Rhen, je fus surprise par celui qu'il me lançait. Il ne semblait voir que moi.

     Je me sentis rougir à cette pensée. Et, pendant tout le trajet jusqu'à la ville, je ne pus m'empêcher de sourire.

     Quelques instants plus tard, nous arrivâmes sur la grand-place. En son centre, se dressait une fontaine où trônait une statue de la Déesse Nocturna. Son corps, sculpté dans de l'obsidienne, était piqueté d'argent, pareil à un ciel nocturne constellé d'étoiles. Le drapée qui l'entourait était taillé dans le plus beau lapis lazuli alors que sur son front trônait un croissant de lune à la pierre blanche irisée. L'Hôtel de Ville se tenait juste derrière elle, sa façade décorée de fresques en relief à la gloire de la déesse. Sa vue me fascina comme au premier jour.

De Rêve et de CauchemarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant