Chapitre 1 - La fête des moissons

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Je me réveille en sursaut, le toucher glacial de Priam se faisant encore ressentir sur mes épaules. J'ai réussi. Je suis sortie vivante de mon sommeil.

J'observe tout autour de moi, le souffle court, à la recherche de repères qui me prouverait que je suis bien de retour dans la réalité, et je soupire de soulagement en constatant que ni créature ni bellâtre brun ne m'attend ici. L'odeur des petits pains de Darcy a déjà empli tout le manoir, et il n'y a aucune trace de flamme.

Je place ma main gantée sur mon visage, puis je sors de mon lit en ignorant ce mal de crâne lancinant. La chemise de nuit que la gouvernante m'a fait coudre hier après-midi est à moitié brûlée, et je sens les entailles dûes aux branches sur ma peau, mais je les ignore, à présent habituée à toutes ces séquelles. J'attrape le journal glissé sous ma porte, sur lequel les illusionnistes ont fait apparaître une image animée de la forêt dans laquelle je me trouvais cette nuit. On y distingue clairement les arbres, et surtout une lueur incandescente... la mienne. Ma mâchoire se crispe, comme chaque fois qu'une annonce du genre apparaît dans le journal, et j'en lis le contenu.

« Un nouveau corps carbonisé a été trouvé en pleine forêt. Les autorités ignorent toujours si les victimes sont humaines ou parmi les Dullahan, et la piste du meurtre en série n'a pas été écarté. Nous rappelons à tous les habitants que le couvre-feu mis en place de dix-huit heures à six heures du matin doit être respecté... »

Je déglutis péniblement avant de fermer les yeux, l'estomac tordu par cette culpabilité qui ne me quitte plus depuis des semaines. Une odeur de brûlé remonte doucement jusqu'à mes narines, alors je les rouvre pour découvrir le papier s'enflammer immédiatement, mes sentiments rongeant chaque parcelle de ce journal ensorcelé.

Je suis responsable de ce meurtre, même si ce sont des créatures qui n'ont rien d'humaines. Les premiers temps, je n'y croyais pas. Ces meurtres suivaient toujours mes rêves, mais comment des rêves peuvent-ils être réels ? Je ne comprenais pas. J'étais poursuivie chaque nuit par des créatures inconnues dont le but évident était de me tuer... Et chaque fois que ces créatures approchaient de moi, mon corps brûlait de l'intérieur. Littéralement. Jusqu'à ce que ce soit elles qui brûlent.

Cette douleur me suivait la journée, comme si de l'acide avait remplacé mon sang... Alors j'en ai parlé à la gouvernante de l'orphelinat. Je ne cessais de vomir, et la peur ne faisait que croître. J'avais peur de devenir dingue, mais aucun des guérisseurs n'a pu m'aider. Et peut-être que ce n'est pas plus mal... Je ne veux pas savoir ce qu'ils me feraient s'ils venaient à découvrir ce que je fais la nuit.

Je m'approche de ma petite lucarne pour l'ouvrir, et j'inspire profondément l'air frais. Il faut absolument que je fasse partir cette odeur de brûlé avant que quelqu'un ne s'en rende compte, même s'ils sont tous occupés dans le jardin et la salle de réception de l'Orphelinat. J'aperçois déjà des dizaines et des dizaines de chevaux, et leurs propriétaires rejoindre l'entrée du manoir. Mon avenir se trouve juste ici !

Je m'éloigne vivement de la lucarne pour me précipiter vers la salle de bain et me préparer. Ce n'est pas le grand luxe ici, mais c'est chez-moi. J'ai toujours vécu à l'orphelinat. Je n'ai aucune idée de qui m'y a déposé, et je n'ai personne à qui parler de ce que je vis la nuit... les autres enfants ne comprendraient pas, et les gouvernantes me traiteraient sûrement de menteuses, imaginant que je veux rejoindre les puissants à Aliaume. Eux ont le droit d'avoir des dons, d'être capable de voyager dans le monde des rêves, de créer une illusion parfaite dans la réalité, y compris sur du papier...

Mais en dehors de la capitale, nous n'avons pas le droit d'être hors du commun, au risque de défier l'autorité des puissants.

Ce sont eux qui m'ont permis de comprendre que je ne divaguait pas totalement. Jusqu'ici, je n'avais jamais porté attention à eux. Puis j'ai entendu l'une de mes camarades parler de ce qui se trouvait à la capitale... les habitants de Aliaume auraient des dons incroyables. Des dons peut-être similaires aux miens. C'est pour cette raison que je m'y rend, pour trouver des réponses à ce mal qui grandit en moi.

La Flamme Perdue - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant