Chapitre 3 - Le geôlier

72 16 8
                                    

Le bruit des sabots des chevaux résonne dans mes oreilles comme s'ils étaient tout près. Pourtant, voilà déjà de longues minutes que la garde m'a traînée hors de la calèche. La température est étouffante, bien loin du climat d'Huascar. Je ne me sens pas bien, j'ignore si c'est à cause de ce changement ou des gardes qui me malmènent. Lorsque j'étais enfant, je pensais que l'orphelinat ne nous traitait pas comme nous le méritions à cause de ce fossé qui existe entre nous et les puissants. Nous étions parfois privés de repas, si nous enfreignons les règles, les surveillants nous infligeant une correction... Aujourd'hui, je me rends compte que nous avons été élevés dans le luxe en comparaison du traitement que m'ont réservé les larbins de la royauté.

Je trébuche plus d'une fois, mes pieds se coinçant entre les pavés beiges de l'allée principale. Mes geôliers ne s'arrêtent pas pour me laisser me relever, si je ne suis pas assez rapide, je sais qu'ils me traîneront sur les genoux. Alors je me débrouille comme je le peu, inconfortable dans mes chaussures qui me créent des ampoules.

Je les suis en tentant de ne pas me laisser submerger par ma détresse. Je ne peux rien faire pour l'instant. Cette fichue cape m'empêche de me défendre, je ne ferais que me vider de mon énergie si je décidais de m'exprimer à travers mes dons. Je ne peux qu'avancer, tête baissée, telle la prisonnière que je suis.

Dans un autre monde, j'aurais certainement apprécié tout ce qui m'entoure. Le son de l'eau me parvient, il me suffit d'un coup d'œil sur ma droite pour découvrir une très belle fontaine en granite représentant une créature qui me semble être un phoenix. Des enfants jouent tout autour avec des figurines en bois, inconscients de l'inégalité qui se trouve derrière les murs de la capitale.

Les gardes nous font passer les larges portes de l'entrée, mon souffle se coupe face à la beauté des lieux. La distance entre le sol et le plafond me semble interminable, les murs sont habillés de grands vitraux. La seule chose qui vient gâcher la beauté lumineuse de ce lieu est la gigantesque rangée de soldats qui se tiennent au garde à vous. Leurs vestes noires sont décorées d'épaulettes aussi rouge que le sang, leurs têtes sont ornées de chapeaux ridicules auxquels je tente de ne pas me moquer. Je n'ai pas cette liberté, la seule raison pour laquelle je me trouve ici est celle de mon arrestation.

Pour retourner à la réalité, les gardes me bousculent afin de me faire tourner sur la gauche. Nous quittons bien vite le beau marbre brillant du sol pour de la pierre poussiéreuse et abîmée,  empruntant un escalier en colimaçon assez large. Je n'ai pas besoin de demander pour savoir qu'ils me mènent tout droit aux cachots. De toute façon, c'est là qu'est ma place. Même si j'ai tenté de fuir, que ces meurtres étaient de la légitime défense, je suis coupable. Et les coupables doivent toujours payer.

Plus nous nous enfonçons sous terre, plus l'odeur d'humidité se fait sentir. Je ne serais pas surprise de voir des rats traverser les couloirs de plus en plus étroits. Nous arrivons rapidement sur une porte en bois devant laquelle un garde se tient bien droit. Ce dernier nous ouvre pour nous permettre de pénétrer dans une pièce immense, insoupçonnée lorsqu'on voit la petitesse du passage menant ici. Des dizaines de cellules sont accolées, remplies pour la plupart. Je suis dans ma future demeure... Du moins jusqu'à ma mort. Les gardes me jettent sans délicatesse derrière les barreaux et je trébuche en lâchant un cri de surprise. Je me relève immédiatement avant de me figer en découvrant Priam. Le retour du traître.

— Laissez-nous, ordonne-t-il.

Les gardes humains obtempèrent comme si Priam était leur chef. Ce qui est peut-être le cas, après tout je ne sais rien de lui. Le silence règne dans cette pièce, simplement perturbé par le bruit des respirations sifflantes des autres captifs. Ma voisine de droite est recroquevillée dans un coin, je ne suis même pas certaine qu'elle soit encore en vie, tandis que le prisonnier de gauche nous observe, Priam et moi. Ce n'est d'ailleurs pas le seul, je sens plusieurs regards peser sur nous.

La Flamme Perdue - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant