— Comptez-vous m'informer du lieu où nous nous rendons ?
Seul le silence me répond. Cette marche me donne l'impression d'une éternité, mes chaussures inconfortables n'aident certainement pas à faire passer le temps. Nous avons passé dix-huit portes, croisé cinquante-trois soldats et je ne sais combien de domestiques. Tous n'ont pas daigné nous accorder un sourire, pas même un regard. Les couloirs semblent plus sombres, comme impactés par cette hostilité. Je me sens bien loin de l'orphelinat dans lequel j'ai grandi : ici ne se trouve ni odeur de pain chaud ni enfants qui courent dans tous les sens. Jamais je n'aurais pensé dire cela un jour, mais Huascar me manque. Malheureusement, je suis certainement en train de faire mon dernier voyage, cela ne peut pas être un long fleuve tranquille. Lorsque la femme à la tête de mon escorte s'arrête face à une large porte en bois de chêne, j'ai le net impression que je ne vais pas apprécier ce qui m'attends.
Quelques coups contre la porte résonnent dans le couloir, attirant enfin le regard de certains soldats. L'attente jusqu'à ce que quelqu'un nous ouvre me semble interminable, et lorsque l'on nous permet enfin d'entrer, je retiens mon souffle comme si c'était le dernier. Face à mon immobilité, un des hommes me donne un coup dans l'échine, un gémissement de douleur m'échappe. Je lui jette un regard mauvais qui lui importe peu, puis, j'avance enfin, consciente de ne pas réellement posséder de libre-arbitre. Je m'attends à découvrir un soldat près à me fusiller, ou un Dullahan qui se repaîtra de ma chair, il n'en est rien. A contrario du couloir, la grande pièce dans laquelle je pénètre est baignée de lumière. Celle-ci semble aménagée dans un but précis : des mannequins de paille sont placés près du mur, des cibles abîmées gisent sur le sol, quelques tables sont partiellement brûlées et les murs abîmés. Je crois distinguer des trous dû à des poignard ou des épées, sans compter la tapisserie parfois noircies. Je n'ai plus aucun doute sur la fonction de cette salle, c'est ici que j'aurais pu apprendre à maîtriser mes dons.
Lorsque la porte claque dans mon dos, je me retourne vivement pour découvrir que je suis seule. Les gardes m'ont laissé libre. Mon cœur s'emballe sans que je ne le controle, mon souffle s'accélère et j'observe tout autour de moi en ignorant les nausées. Une fenêtre sur ma droite, à un mètre du sol. Un puits de lumière au plafond. Une porte vitrée face à moi. Je me précipite sur celle-ci et tente de l'ouvrir, sans succès. Je martèle alors le carreau dans l'espoir de le briser.
— Ta détermination est admirable. J'ai tout de même le regret de t'annoncer que ces fenêtres ont été conçues pour résister à toutes attaques.
Mon regard se fixe à l'horizon. Je suis bien incapable de bouger. J'observe les maisons alignées en contre bas, quelques puissants se baladant dans les allées pavées, avec l'espoir que cela fera disparaitre la femme placée derrière moi. Pourtant son reflet ne disparaît pas de la vitre. Alors je me tourne lentement. Cette voix chevrotante appartient à une vieille femme aux cheveux grisonants et bouclés. Son dos est voûté, son teint blafard, elle se tient fermement appuyée sur une vieille canne en fer rouillée. Je croise les bras contre ma poitrine, mal à l'aise.
— Retire donc cette affreuse cape, elle ne te servira à rien ici, suggère l'ancienne.
Ma perplexité est sûrement visible sur mon visage. Si j'ai bien compris, c'est grâce à cette cape qu'ils peuvent me toucher sans risquer de se brûler. Est-elle suicidaire ? Je ne vois pas d'autre explication. Elle semble pourtant bien sûre d'elle, ses yeux incroyablement bleus m'observant minutieusement. Je m'exécute cependant, comme contrôlée par une force qui m'échappe.
— Qui êtes vous ?
Ma voix n'a rien d'assurée.
— Je me prénomme Melitta, me confie-t-elle.
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La Flamme Perdue - Tome 1
FantasiIl y a de ça plusieurs siècles, le pacte signé par le peuple d'Aliaume avec celui des rêves était claire : l'accès au monde des songes doit être condamné car bien trop dangereux pour la paix que la royauté cherche a maintenir. En fermant les yeux ce...