Chapitre 2 - Le réveil des Dullahan

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Le banquet bat son plein, je peine à reconnaître l'orphelinat dans lequel j'ai grandi. Les grandes fenêtres à carreaux habituellement recouvertes d'un drap à défaut de volet ont été nettoyées de sorte à ce qu'on ne remarque même pas que du verre s'y trouve. Sans compter la décoration : la grande hauteur sous plafond présente dans la salle de réception nous empêche de nettoyer les toiles que les araignées y tissent, pourtant tout semble parfaitement propre, des lanternes ont même été suspendues. La gouvernante semble prête à tout pour impressionner les puissants venus spécialement pour la fête des moissons.

Les Kalimba et la Gimbarde résonnent dans la pièce en musique de fond, et j'observe tout ce peuple rire gaiement. Aujourd'hui, nous avons tous une chance de quitter cette ville pour la capitale. Une chance de se faire une place au sein du palais, même si cela en passe par le fait de rencontrer le prince. Et cette perspective ne me réjouit que peu.

Je ne suis pas un fervent soutien de notre famille royale. Ils briment le bas peuple, font taire ceux qui n'acceptent pas leur gouvernance, et ce système de ségrégation sociale entre les puissants de Aliaume et le reste des contrées me débecte. Ils ne valent pas plus que nous. Si j'avais eu le choix, jamais je n'aurais tenté de les rejoindre... Et me voilà en train de tout faire pour me fondre dans la masse.

Je ne suis pas la seule à avoir sorti mes plus beaux vêtements, les autres orphelins ont également fait des efforts. Casey, habituellement toujours en guenille, a réussi à trouver une chemise propre, Taylor a enfilé des chaussures, lui qui ne marche que pieds nus, et Inaya a coiffé son indomptable crinière blonde. J'ai l'impression de n'être qu'une imposture à côté d'eux... mais je ne peux pas faire mieux avec, en majorité, des vêtements brûlés. Je n'ai qu'à espérer dégager ce quelque chose en plus qui fera la différence.

Je descends les marches une à une, d'une vitesse volontairement lente en espérant me faire remarquer, mais aucun regard ne se tourne dans ma direction. Ce n'est pas étonnant, je ne porte aucune couleur vive, et je ne suis pas d'une beauté qui fait tourner les têtes. Alors je me dirige vers le banquet avec la ferme intention de me remplir l'estomac avant de rencontrer les représentants d'Aliaume, mais Darcy me retient au dernier moment.

— Où penses tu aller comme ça, jeune fille ? La nourriture ne fera que te faire sentir à l'étroit dans ton corset.

Je grommelle sans m'en cacher avant de croiser les yeux marrons de la gouvernante.

— J'ai besoin de prendre des forces avant d'aller les rencontrer !

Elle secoue la tête.

— Tu as besoin d'être parfaite. Alors ne t'avise pas de toucher à ce banquet !

Je lorgne la confiture que nous avons préparé avant de remarquer que Darcy a même préparé son caramel... Mais elle a raison. Il ne serait pas raisonnable de manger si cela joue en ma défaveur.

— Dans ce cas, pourriez-vous m'introduire auprès de l'un de ces représentants ? J'ai bien l'impression de n'être qu'une figurante parmi tous ces candidats.

Darcy arque un sourcil, visiblement surprise par mon langage. Voilà des semaines que je le perfectionne afin de paraître à mon aise en société. Je n'ai que peu l'habitude de m'exprimer en public et, avant mes nombreux efforts, mon vocabulaire était d'une pauvreté sans nom. La gouvernante en semble satisfaite. Elle m'invite à glisser mon bras autour du sien avant de m'emmener jusqu'à un groupe d'homme bien fagoté, à qui j'adresse mon plus beau sourire.

— Messieurs, laissez moi vous présenter Leewan, de Nimrod.

Ce nom paraît très noble. En réalité c'est celui que nous portons tous, puisqu'il s'agit du nom de l'orphelinat. Il a souvent beaucoup d'impact auprès des puissants... et cela ne manque pas de faire son effet en vue de leur regard brillant. Darcy me présente chacun des hommes qu'elle a surement appris à connaître au fil des années. Haïcé De Alyosha est l'archiduc de la contrée de Alyosha, il est certainement le plus âgé des trois hommes.  Il est vetu de cette veste en queue de pie que les gens de la haute société aime tant porter, et le noir de ce vêtement détonne avec le blanc de ses cheveux. A ses côtés se tient fièrement son fils, Khalis. Ce dernier se fait plus discret, silencieux, et son air juvénil lui donne bien moins de prestance que son paternel. Darcy termine par m'introduire auprès de Oswald De Lamassard, un proche cousin du roi. Il est donc celui que je dois impressionner.  Le plus âgé des trois me toisent de haut en bas, cherchant sûrement à juger de mon potentiel, et je me tiens un peu plus droite.

La Flamme Perdue - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant