[Sterek] Instinct de survie

Chapitre 14

Les jours suivants prennent des allures de cortège funèbre aux yeux de Stiles. Ses amis se succèdent à son chevet depuis son agression et il les sent ployer peu à peu sous la fatigue. Ou peut-être est-ce le fait de savoir, qui lui donne cette sensation d'hyper-conscience quand à leur état ? Réveillé par sa propre douleur depuis plusieurs minutes, c'est en compagnie de Scott qu'il regarde le temps passer inexorablement.
Il se rappelle avoir discuté avec Isaac, plus tôt dans la soirée. Même Liam a tenu à revenir le voir, alors que la première nuit a été difficile à tenir, pour le jeune bêta. Stiles se sent coupable de leur infliger ces tours de garde comme si sa vie était plus importante que les leurs. Il a bien essayé de les dissuader de venir, mais son propre état l'empêche d'anticiper les arrivées et départ de ses amis.

- Est-ce que tu en as parlé à mon père ?
- Non. Je lui ai envoyé un message avec ton portable. J'ai prétendu qu'on avait un devoir à rendre ensemble, et qu'on bosserait dessus chez moi, cette semaine.
- Merci, Scotty.
- Il faudra bien que tu lui dise, Stiles. Surtout si tu décide de ...

Scott ne parvient pas à terminer sa phrase, trop lourde de sens. Il voudrait prendre la décision à la place de son meilleur ami mais elle lui appartient, et aucun d'eux n'a le droit de forcer son choix. Il inspire profondément en se calant davantage dans le canapé. Stiles n'en n'a pas bougé depuis plusieurs jours et l'endroit sent la sueur et la maladie. C'est désagréable pour les métamorphes qu'ils sont, de devoir supporter cette odeur. Mais surtout, c'est la mort qui plane, qui les rend tous plus nerveux que d'habitude. Parce que Stiles se meurt, même si chacun met tout son coeur à le maintenir dans un état stable.

- Tu devrais laisser Derek faire.
- Tu étais contre, il me semble.
- Non. J'ai dit que toi, tu serais contre. Parce que je te connais par coeur. Tu es mon frère, Stiles. Je sais que tu es tenace, et courageux, et que tu fais preuve d'une abnégation sans limites pour ceux que tu aime.

Stiles baisse les yeux. Il n'aime pas qu'on le mette en avant et il ne saurait appuyer les dires de Scott. Il s'est toujours trouvé lui-même trop chétif, trop maladroit et bien trop encombrant auprès de la meute.

- Stiles, Derek t'aime.
- Je sais.
- Et tu l'aime aussi.
- Oui.
- Si les rôles étaient inversés, est-ce que tu voudrais qu'il refuse ton aide ? Tu voudrais qu'il meurt pour protéger ton statut ?
- Certainement pas.
- Alors pourquoi tu lui inflige ça ?
- J'ai peur.
- Oui, ça, on le sent tous. Qu'est-ce qui te fait peur ?
- Si ça ne marche pas, il se sera sacrifié pour rien.
- Tu as peur qu'il te rejette ?

Stiles ne répond pas. Il voudrait dire qu'il ne veut pas que Derek fasse un sacrifice vain, mais ses craintes sont bien plus égoïstes que ça : il redoute de perdre l'amour du loup, alors qu'ils n'ont même pas eu le temps de s'aimer vraiment. Il aurait voulu l'embrasser au moins une fois, avant que tout ne devienne si compliqué.

- Stiles, Derek est conscient des risques et il sait que ça pourrait ne pas fonctionner. Il s'en fiche. Au moins il aura essayé, et il s'en contentera.
- T'en sais rien.
- Si, je le sais. Ecoute, Derek n'est pas toujours sûr de lui et il sait qu'il a pris de mauvaises décisions par le passé. Mais quand il parlait le premier soir, j'ai vu dans ses yeux. Il n'avait pas la moindre hésitation. Il était prêt à le faire et il l'est toujours. Il ne reculera devant rien pour te sauver.

Stiles soupire et retient une grimace pour ne pas alerter son meilleur ami. Son corps lui fait l'effet d'être un noeud de fils tendus prêts à rompre à tout moment. Comme si tous ses nerfs s'apprêtaient à lâcher en même temps, laissant leur enveloppe corporelle vide et flasque. Il ignore ce que font exactement ces toxines sur son organisme, mais ça n'a rien de plaisant à vivre. Il n'a rien dit à ses amis mais il sent sa fin approcher : leur capacité à absorber sa douleur ne fonctionne plus aussi bien, si elle fonctionne toujours. Il serre les mâchoires en s'efforçant de donner le change. Si son calvaire doit durer plusieurs heures, il finira par pleurer et par supplier qu'on l'achève.
Une larme solitaire roule sur sa joue, alors que la peur le dévore lentement. Il sait ce qui l'attend, ou du moins il s'en fait une idée à chaque fois que sa souffrance revient en force à l'intérieur de lui.

- Stiles, qu'est-ce qu'il y a ?
- J'ai peur, Scotty ... Je ne veux pas mourir ...

Scott le serre dans ses bras en une étreinte rassurante. Prenant sa douleur par réflexe, il pose son menton sur le crâne de son meilleur ami et le berce tendrement.
Stiles voit les veines de Scott noircir malgré l'obscurité. Il n'y a plus que Derek et lui, qui soient capables d'apaiser ses souffrances. Les bêtas n'aspirent plus rien si ce n'est la fièvre, mais il se garde bien de le faire remarquer. Pourtant, à mesure que le temps lui file entre les doigts, il est pris de regrets. Il voudrait pouvoir leur dire au revoir convenablement. Pas allongé dans un canapé, comme un boulet qu'on se traîne malgré soi. Il voudrait partir avec sa dignité mais les frissons et les courbatures l'empêchent de se tenir debout plus de quelques instants. Et puis il se dit que s'écrouler, raide mort, ne serait pas un spectacle plus appréciable pour ses amis.

- Je prends le relai.

Stiles relève à peine les yeux, tandis que Scott se redresse en le relâchant. Derek prend sa place, blottissant l'adolescent entre ses bras chauds et réconfortants. Oui, voilà. C'est là qu'il veut mourir, dans cette étreinte rassurante que lui donne cet homme qu'il aime depuis si longtemps. Il regrette de ne pas lui avoir dit plus tôt. Peut-être que ça aurait détruit leur relation, mais peut-être que ça leur aurait donné plus de temps. Il ne saura jamais, maintenant.

- Repose-toi, vieux. Je reviens demain matin.
- Eh, Scotty.
- Oui ?
- Veille sur mon père, ok ?

Dans un regard empli de désespoir, Scott s'éloigne du canapé et quitte le loft, épuisé et rompu. Ils ne savent pas combien de temps il reste à leur ami, mais les jours passent et chaque nouveau lever de soleil devient plus incertain que le précédent. Stiles pourrait disparaître à tout moment, maintenant. Pourtant il refuse toujours de prendre sa décision. Ou du moins c'est ce qu'il prétend, mais Scott a compris, lui. Sa décision est déjà prise, il attend seulement qu'elle prenne effet, libérant ses amis de leurs obligations envers lui.
Scott se laisse glisser contre la paroi de l'ascenseur et enfouit son visage entre ses mains pour laisser le champ libre à ses larmes. Il sait. Il a compris quand Stiles s'est mis à pleurer. Il ne le reverra pas.