À Circé, deux millénaires trop tard

Chapitre XV

Cela faisait un mois que j'étais de retour avec mon père. Il m'aidait bien à me souvenir et je me sentais à l'aise dans son drôle de palais. Les servantes étaient gentilles avec moi, les habitants d'Ithaque m'adoraient et Ulysse prenait son temps pour m'apprendre à me rappeler. Sachant qu'il est roi, prendre des heures considérables de son agenda pour m'apprendre était drôlement héroïque. Il avait l'air d'être un bon père, il s'occupait de moi et de mes frères et sœurs et pourtant, bien que je lui fasse croire le contraire, mon cerveau ne pouvait pas se souvenir de lui. J'écoutais donc les histoires qu'il racontait et me forçait a croire qu'elles étaient mes souvenirs. Mais mon âme refusait ces histoires. Comme si quelque chose en moi repoussait tout depuis le début. J'essayais de passer outre ce sentiment, mais des fois, il était si fort qu'il se matérialisait. Cette petite voix que j'avais entendu le soir de ma fuite, était toujours avec moi. Elle était parfois silencieuse comme l'air et parfois aussi bruyante qu'une chute d'eau. Elle m'incitait à me méfier de tout et je ne savais pas pourquoi ! Elle ne répondait pas à mes questions, elle ne discutait pas avec moi, elle parlait juste. Parfois je n'avais aucune envie de l'écouter. Elle était agaçante et mon père était un homme bon qui prend soin de moi. Pourtant, elle arrivait à me décrocher ce doute au fond de moi et ça m'énervait. Elle voyait ce que je ne voyait pas, entendait l'inentendable et sentait l'aura des gens. Lorsque je voyais mon père comme un héros, elle voyait son sourire de maniaque manipulateur qui cache quelque chose. Quand j'entendais mon père travailler dans son bureau, elle entendait la déesse à laquelle il s'adressait. Et quand je passais près de lui dans les couloirs, elle avait si peur qu'elle s'enfuyait au fond de mon âme et s'y blottissait bien confortablement.
En bref, mes émotions jouaient au Ping-pong, je n'avais aucune idée de quoi penser et le fait qu'aucun de mes souvenirs ne me revienne en tête n'aidait pas.

- Télémaque par ici !
- Coucou Cherry.

Cherry c'était mon rayon de soleil depuis que j'étais arrivé. Elle était jolie, bronzée, ses cheveux étaient magnifique et son rire aussi clair que du cristal. Elle était apparement ma petite amie avant mon départ. Je lui avait plusieurs fois demandé si mon amnésie la dérangeait et elle disait toujours que non, et qu'elle était là pour moi et pour m'aider à me rappeler. C'était un ange parmi les hommes.

- Prêt pour notre rendez vous ?
- Je me suis mis en beauté.
- Tu n'as mis qu'une chemise...
- C'est déjà beaucoup !
- Tu aurais pu au moins mettre des chaussures...
- Je n'arrive pas à enfiler une seule paire, allez on y va !

Elle rigola et le fait qu'on ne se chamaille pas sur aucun point me fit me sentir bizarre dans le bas ventre.

- Dis Cherry... on avait pas l'habitude de se chamailler sans cesse tous les deux ?
- Se chamailler ? Bien sûr que non voyons, on s'aime !
- Oui mais je veux dire on se chamaillait pour se montrer qu'on s'aime c'est pas... notre truc ?

Elle secoua la tête de gauche à droite. Je devais inventer. « Tu n'inventes rien ».

- La ferme.
- Pardon ?
- Non pas toi. Bon allons-y.

Cherry prit les devant pour me faire passer une bonne soirée et c'était réussi. Enfin presque. J'aurais pu apprécier tous les moments passés avec elle ou mon père, si ça n'était pas pour cette foutue voix au fond de mon cœur. Je quittais la table une seconde et piquait une bouteille de vin discrètement. Je m'enfermais dans les toilettes, buvais la moitié de la bouteille et fit face au miroir.

- Sors de là. Tu m'énerves. A cause de toi je ne profite de rien. Aucun des moments passés avec ma copine, aucun des moments passés avec mon père, rien ! Tu me pourris la vie ! Dégages !

Sans que je m'en rende compte, une jeune fille était rentrée dans les toilettes. J'étais pourtant sûr d'avoir fermé à clé.

- S'il vous plaît j'ai besoin d'être seul...
- Tu m'as demandé de partir. Je pars.