Chapitre XIII

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Le retour à un monde plus humain ne leur fit pas du mal. Ils pouvaient manger quelque chose qui ne prenait pas trois heures à cuisiner et dormir sur un matelas était devenu un luxe du quotidien pour eux.

Étrangement, Télémaque s'installa encore dans le lit, et Circé lui intima de dégager, ce qu'il ne fit pas.

- On a dormi ensemble dans ce lit des semaines durant. Je vais pas me taper le canapé juste pour des caprices. Fais comme si on était encore attachés. Bonne nuit !

Il se mit immédiatement à ronfler, bien endormi sur ses deux oreilles. Elle pesta un moment puis, voyant que personne ne l'écoutait, elle s'allongea également et trouva rapidement le sommeil. L'aventure, c'est bien, mais ça fatigue le corps et l'esprit, surtout lorsqu'elle inclue des nymphe parasite, des humains immortels et de l'inceste.
Leur repos fut néanmoins de courte durée. Un bruit réveilla Circé. Elle savait que ce n'était pas Télémaque, qui se trouvait toujours à côté d'elle et prenait toute la place dans le lit. Elle se leva donc en le poussant par terre afin qu'il la suive. Dans la pièce à vivre qui contenait la petite cuisine ouverte et une table basse, une femme attendait, un verre de thé à la main. Télémaque avait le grimoire en mains, pas pour lancer un sortilège en revanche. Il se fit réprimander par Circé et commencèrent à se chamailler à voix basse.

- Je vous entends. Et je vous vois également.
- Merde, encore une déesse.
- Il n'est pas faux que je suis une déesse, fils du héros. Mais simplement en utilisant mes yeux, et en regardant dans ce miroir en face de moi, je peux voir votre reflet.
- Toi et ton narcissisme !
- La ferme ! Tu penses que cogner une déesse avec un cahier c'était une meilleure idée peut-être ?
- Assez ! Vous deux commencez sérieusement a m'énerver. Comment se fait-il que vous ayez retrouvé vos corps ?
- Et bien on est allés...
- Tais toi, Mac. Comment va l'Olympe ? Il a dû se passer une sacrée crise pour que tu ne nous attrape pas entre tes dents à peine notre âme échangée.
- Petite insolente.
- Vous savez quoi Héra ? Vous me faites marrer. Parce que peu importe ce que vous faites, vous allez toujours perdre. Vous avez rendu un humain immortel et maintenant il peut passer du temps avec moi, annulant votre malédiction. Le seul problème reste de trouver comment lui faire enfiler des chaussures.
- Circé ! Puisque tu prends tout à la rigolade dans cette punition, peut-être devrais-je te renvoyer sur ton île !
- Mais faites donc ce qu'il vous plait. Je vous l'ai dit, rien ne me dérange. Vous ne trouverez aucune situation qui me mettra dans l'inconfort au point que je vous supplie d'arrêter.

Héra bouillonnait de colère. Elle disparut dans un flash de lumière, laissant derrière elle de la poudre d'or. Le duo rigola avant de retourner se coucher.

- Quelle drôle de femme. Elle doit avoir un pet au bocal, pas possible autrement.
- Pourquoi elle s'en prend tout le temps à nous ? Sa vie est ennuyeuse à ce point ?
- Ah ça Mac, je pense qu'après avoir vécu l'éternité sur l'Olympe, on doit bien se faire chier quand même !

Il rigola à cette dernière remarque et se rendormit.
Au réveil, Circé n'était plus à ses côtés. Il avait oublié que désormais, elle pouvait se déplacer sans lui et donc, le laisser se réveiller dans un lit vide. Il ne la trouva pas dans la cuisine, ni occupant la salle de bain. Après un moment à chercher partout, il se résolut à quitter la maison pour faire un tour, le temps qu'elle revienne. Elle n'avait même pas laissé un mot, pensait-il. Mais il n'eut pas l'occasion de poser un pied dehors.

- Qu'est-ce que tu fais là ? C'est pas commun de bronzer sur le pas de sa porte.
- Ah tu es réveillé. J'avais juste envie de profiter du soleil matinal. J'aime bien le matin, mais depuis que tu es dans ma vie, je n'en profite plus.
- Pourquoi ?
- Peut-être parce que, enchainée à 80 kilos de muscles j'avais du mal à m'extirper du lit. Et tu dors jusqu'à midi.
- Désolé.
- C'est bon, on est plus obligé de se coller maintenant. Donc je peux à nouveau traîner ici.
- Tu as un balcon.
- Il fait trop chaud sur le balcon. J'aime bien la fraîcheur de ce côté.
- Fais moi une place. Tu peux me réveiller demain ?
- Pourquoi ?
- Je veux voir le matin que tu aimes tant, moi aussi.

Il lui sourit en la poussant sur le côté.

- T'es bête.
- C'est pour ça que tu m'aimes bien.
- Je t'emmènerai quelque part demain, ce sera mieux que de rester sur le pas de la porte.

Il acquiesça sans rien ajouter. Son estomac lui fit comprendre que la conversation n'était pas finie et il se releva, prêt à avaler un bateau. Circé l'accompagna et cuisina, toutes les fenêtres de la maison grand ouvertes. La chaleur était étouffante et elle modifiait l'ambiance générale. Télémaque, torse nu et une serviette mouillée sur le visage, râlait et soufflait toutes les deux secondes.

- Tu comptes la fermer ?
- Il fait trop chaud.
- Tu ne cuisines même pas. Tu ne met même pas la table, tu ne fais rien et tu arrives à te plaindre.
- Dis Circé ?
- Oui ?
- Ça te manque pas déjà nos aventures ? Moi j'ai déjà envie de repartir avec toi voir le monde.
- Pas si je dois être dans ton corps sans chaussures.
- Ah que tu es mauvaise avec moi. Non mais sérieusement, tu dois encore mettre fin à ta malédiction et moi à la mienne. Ça te dis pas de le faire ensemble ?
- Sachant que plus rien nous relie mais que tu continue à squatter mon appartement, j'imagine que je n'ai pas le choix.
- Arrête, sois honnête pour une fois. Tu as passé des millénaires seule, un peu de compagnie ne doit pas te faire de mal.
- Je me suis habituée à cette solitude. Et bien que tu sois là pour le moment, j'ai peur que Héra finisse par te tuer pour me ramener à la solitude. Voilà un peu d'honnêteté monsieur. Le déjeuner est prêt.

Il la regarda bouche ouverte se servir et s'asseoir pour manger. Il voyait déjà Circé comme une jolie fille, mais après ça il avait l'impression de la voir briller de milles couleurs dorées. Elle le regarda, une pâte tombant de sa bouche à l'assiette, un peu de crème sur le coin de la lèvre.

- Je crois que je suis amoureux.

Elle déglutit et lui demanda de qui, et c'est à cet instant qu'il se reprit et changea de sujet. Elle leva les yeux au ciel et ignora ses remarques.

- Je vais t'aider à retrouver des chaussures. Puisque depuis que tu traines avec moi, la malédiction s'annule un peu.
- Si tu pouvais traîner avec des humains immortels depuis le début, pourquoi tu ne l'as pas fait ?
- Parce que passer l'éternité avec Oedipe c'est pas très tentant.
- Certes. Mais ce n'est pas le seul j'imagine.
- Mac, entre lui, Ulysse et cette vipère de Pandore, je préférais largement le silence.
- Pandore ? Comme la boîte ?
- Oui. Mais Pandore est une femme et elle n'a pas de boîte. Elle possède une jarre, qui renfermait jadis tous les maux de l'humanité.
- Ouais elle l'a ouvert blabla... ils ne l'ont pas sacrifié pour sa curiosité ?
- Elle est en effet morte. Et puis Héphaïstos l'a ramené à la vie. Tu sais comment il est lorsqu'il s'agit de ses créations.
- Et ?
- Elle est maligne, tu connais la nymphe écho, celle qui ne se meurt jamais vraiment.
- Oui elle répète tout ce qu'elle entend. On devrait plutôt l'appeler la nymphe cafteuse.
- Si tu le dis. Enfin, Héphaïstos a volé le corps d'écho pour la ramener à la vie.
- Il ne pouvait pas la refaire à partir d'argile ?
- Non, ça aurait été quelqu'un d'autre qu'elle.
- Et elle est devenue immortelle ?
- Oui, à l'aide de Zeus je crois. Mais c'est toujours une sale curieuse qui s'intéresse aux histoires qui ne la regarde pas.
- Et écho ?
- Elle aussi vit immortelle. Elle n'a plus d'enveloppe charnelle et peut désormais faire écho à n'importe qui sur terre.
- Pourquoi aucune de ces personne ne peut être normale ?
- Bah si, il y a moi.

Elle lui sourit et il secoua la tête.

- Toi tu es la pire de toutes. Vicieuse petite Circé.

À Circé, deux millénaires trop tardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant