Chapitre XII

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Après avoir quitté Ithaque, nos deux pestiférés reprirent la mer, peu d'idées en tête. La dernière malédiction que chacun voyait trôner au dessus de sa tête n'était pas partagée de l'autre et ils auraient irrémédiablement à se séparer pour régler ce souci. De plus, cela faisait presque deux mille ans qu'ils vivaient avec ce souci personnel et ils ne pensaient pas pouvoir le régler aussi facilement que la petite blague de revanche de Héra.

- Dis Télémaque... ça te dérangerait d'aller quelque part pour moi ?
- Oula t'es bien sérieuse tout à coup. Tu ne m'appelles jamais par mon prénom.
- C'est juste que... c'est la première fois que je peux demander ça à quelqu'un.
- Où veux-tu qu'on aille ma belle ? Voler des trucs ?
- Arrête les blagues deux secondes. Je suis sérieuse. J'aimerais bien que tu... te rendes sur Aeaea.

Télémaque ouvrit de grand yeux surpris. Il n'avait certes pas écouté à l'école, mais depuis qu'il était obligé de traîner avec Circé, il avait fait ses recherches sur cette dernière. Il savait qu'elle avait d'abord été punie et forcé à vivre sur une île déserte, exclue de la société des dieux et loin de celle des humains. Mais ce qu'il ne savait pas, c'était pourquoi elle avait envie d'y retourner.

- Je sais que ça a l'air un peu stupide comme idée. D'abord j'ai été bannie de partout sauf cette île. Et ensuite, j'ai été bannie de cette île seulement. Pourquoi j'aurais envie d'y retourner alors que je peux enfin voir le monde ?
- Les dieux ne font jamais rien dans la demie mesure.
- Oui. Tu n'as pas tord. Mais en quelques centaines d'années, je me suis accommodée à cette île. C'est chez moi désormais. Et le châtiment des dieux ne me donne envie d'aller nulle part ailleurs.
- Je vois. Sur ton île tu rêvais du monde extérieur, à l'extérieur tu rêves de ton île. L'éternel non contentement des dieux.
- Je sais, c'est nul...
- Non je peux comprendre. Enfin moi c'est tout l'inverse, je me suis enfui d'Ithaque mais ça revient au même. Il y a un seul endroit sur terre où je ne souhaiterais jamais être et toi, un seul où tu ne serais pas triste de vivre pour l'éternité.
- Voilà. Mais je ne peux pas m'y rendre. J'aimerais juste que tu visites l'île et que tu me dises ce que tu en a vu. Les animaux, les plantes et ma maison, qu'est-ce qu'ils sont devenus.
- C'est entendu, nous allons avoir un long détour par Aeaea alors.

Circé sourit et s'endormît sous le ciel étoilé. La mer était calme, aucun monstre marin ne semblait vouloir avaler l'espèce de barque qui leur servait d'embarcation. Ils divaguèrent donc calmement pendant des jours. Poséidon qui n'aime décemment pas vraiment qu'on vogue sur ses eaux et qu'on mange son poisson sans lui faire d'offrande, ne leur envoya même pas une tempête marine. L'air était calme, un peu trop calme au goût suspicieux de Circé. Télémaque lui, priait sa bonne étoile qu'elle ne commence pas à chercher des noises aux dieux de l'Olympe, qui les écraseraient dans leurs mains de géants en un éclair. Circé disait que ce n'était rien par rapport à un titan mais Télémaque ne voulait rien savoir. Étant des humains immortels si l'on peut dire, ils étaient aussi vulnérables que des fourmis. Mais aucun dieu ne se présenta à eux. Il devait se passer quelque chose sur le mont Olympe pour qu'ils restent aussi calmes, et surtout, pour qu'Héra ne leur ai pas rendu une petite visite depuis qu'ils avaient regagné leurs corps originaux. Il y avait définitivement quelque chose qui clochait. Mais aucun moyen de savoir quoi.

Après une semaine en mer, ils arrivèrent aux rivages de l'île de la sorcière. Cette dernière pleura d'un coup, mettant le prince d'Ithaque en déroute. Il n'avait pas l'habitude des gens qui pleurent, surtout pas venant de cette sorcière dure comme la pierre. Elle s'excusa et lui aussi, ne sachant que faire d'autre, il répétait tout ce qu'elle disait. L'île était belle et luxuriante de verdure. La plage était nette et le sable semblait doux pour quiconque posait les pieds dessus. Elle ne pouvait apercevoir sa maison d'ici mais elle savait qu'elle n'aurait plus la même allure. Télémaque débarqua et échoua le bateau dans le sable. Il fit ses adieux à Circé et la laissa seule sur ce minuscule bateau, tandis qu'il partait explorer l'île maudite.

À Circé, deux millénaires trop tardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant