Chapitre V

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Après une bonne heure à subir des jacassements et des plaintes d'un idiot qui détruisait les traits durs de son visage, Circé décida de se mettre en route. Elle en avait plus que marre de cette affaire et encore moins envie d'écouter Héra que les jours précédents. Plus elle rajoutait à leur malheur, plus ils voulaient se rebeller.
En sortant, elle tomba sur Hécate, à qui elle jeta un sort inutile. En effet, Hécate étant maligne et pragmatique, elle transporte toujours sur elle tout type de plantes, dont Moly, une petite fleur qui perturbait les pouvoirs de Circé. Pourtant à ce moment, ce n'était pas la plante qui était la cause du sort raté.

- Stupide déesse magicienne.
- Tu es une déesse magicienne Circé.
- Toi la ferme ! Tout ça, c'est de TA faute ! Si tu ne t'étais pas assis à côté de moi et obstiné à me parler à tout prix, alors que tu aurais pu choisir n'importe quel autre étudiant dans la salle, jamais je n'aurais été enchaînée à un imbécile et jamais je ne me serais retrouvé dans un corps qui n'est pas le mien!

Télémaque ne répondit pas à sa pique et se contenta de la suivre alors qu'elle recommençait à marcher avec agacement. Une fois près du Styx, elle n'hésita cette fois pas et, ayant le gros corps musclé du jeune homme, ce dernier fut happé avec elle dans les eaux crasseuses. Il tenta de respirer une dernière fois, voyant sa mort arriver à grand pas, mais fut surpris de remonter à la surface sans encombre.

- Je ne meurs pas ?
- Non tu ne peux pas mourir. Mon corps résiste aux eaux du Styx et mon âme également. Dans ce changement d'état qu'on a subit, tu peux te baigner dans la rivière sans problème.
- Cool ! A poil alors !

Circé l'arrêta sur le champ et tenta même de lui jeter un sortilège. Rien ne se passa. Elle s'interrogea, et ils ressortirent du côté des humains, Circé toujours dans la panade.

- Pourquoi je ne peux plus lancer de sortilèges ? Mon âme est censée produire ma magie, pas mon corps !

Télémaque qui suivait chaque bribe de mot qui sortait de la bouche de sa camarade tenta de lancer quoi que ce soit contre un des murs en roche. Le résultat fut immédiat, la roche se brisa en mille morceaux qui roulèrent jusqu'à leurs pieds. Il regarda Circé, faussement désolé et haussa les épaules.

- Encore un coup d'Héra j'imagine ?

Elle hurla d'agacement.

- Cette vieille traîtresse doré ! Elle va voir de quel bois je me chauffe ! Allons-y Mac, nous nous rendons sur l'Olympe!

La détermination de la jeune fille le fit rire mais il dut tout de même l'arrêter.

- Circé on ne peut pas se rendre sur l'Olympe, c'est bien ça le problème. Calme toi, reposons nous cette nuit et trouvons un plan pour la suite. Je ne pense pas que tu sois prête à suivre Héra au doigt et a l'œil pour retrouver ta liberté et moi non plus.

Elle grogna mais accepta. Ils sortirent de cette grotte et campèrent un peu plus loin dans la forêt. Le grand désastre eu lieu lorsque Télémaque dut allumer un feu avec les pouvoirs magiques de Circé, et qu'il alluma plutôt de quoi alimenter l'Olympe pour des années. Mais ils finirent par s'en sortir et se retrouvèrent à côté l'un de l'autre, la tête par dessus leur feu de joie.

Circé tripotait tout le corps de Télémaque dans lequel elle se trouvait, pas habituée du tout à cette morphologie. Elle se mit à triturer un pendentif et, en l'observant, elle s'adressa à Télémaque :

- Tu penses qu'il a finit par rentrer ton père ?

Il tourna la tête vers elle, la poussant à poursuivre sa pensée.

- Tu es parti il y a de cela une éternité. Tu penses qu'entre temps, ton père est rentré, ou alors Pénélope a-t-elle vécu seule jusqu'à sa mort ?
- Je me suis déjà posé la question. Dans le fond, j'ai toujours eu l'assurance qu'il était rentré un jour. Mais comment le vérifier ? Ils sont décédés il y a des millénaires maintenant.
- Je suis désolé pour toi. Ça doit être difficile d'être simplement un humain en Grèce antique. Entre tout ces monstres qui rôdent, et ces satanés dieux qui te maudissent sans raison...
- Ah oui, les dieux grecs sont particulièrement... attachant, si tu vois ce que je veux dire.

Il secoua la chaîne ce qui la fit rire.

- Si j'arrive à me libérer de ma malédiction avant toi, je te ramènerai des nouvelles de ton père, je te le promet. Il a beaucoup compté pour moi aussi.
- Raconte moi comment tu as connu mon père. Tu l'as certainement plus vu que moi au final.
- Si cela te fait plaisir. Mais tu ne vas pas aimer cette histoire, ton père n'y est pas sous son plus grand jour.
- Raconte quand même. J'aime en apprendre plus sur l'homme qui m'a donné naissance. Qu'il soit une bonne ou mauvaise personne reste mon jugement final, après entente de ces histoires.
- Lorsque ton père est arrivé sur mon île avec son équipage, je leur ai offert le couvert. Ils ont dîné à ma table mais j'avais drogué l'absinthe avec l'une de mes potions préférées. Tous les hommes de l'équipage d'Ulysse furent transformés en cochons. Ulysse en revanche, resta un homme. N'ayant jamais vu quelqu'un qui puisse résister à mon sortilège, je m'avançais vers lui et constatait que le verre était bien vide. Il avait bu le poison et était toujours un homme. Je lui demandais alors son secret. Il me répondit qu'il était en train d'accomplir une quête, et qu'il ne pouvait se permettre d'être transformé en cochon ici.
- As-tu jamais su ce qui avait fait qu'il était resté homme ?
- Jamais. Mais après cela, j'ai du lui jurer fidélité et me jeter à ses pieds, puisqu'il était le seul à résister à mes pouvoirs, je devais accepter ma défaite et m'offrir à lui. Pour moi, il était tout à ce moment. L'unique humain capable de me résister. C'était étonnamment très excitant.
- C'est une histoire bien drôle.
- Je devais lui offrir mon aide, mettre mes pouvoirs à son service, rien d'autre.
- Lui l'a compris autrement j'imagine.
- Lui, triste et loin de Pénélope, m'a demandé de lui offrir quelque chose d'autre. Je ne pouvais refuser, tu sais comment sont les dieux ces temps ci.

Cette interlude de rappel à leur fardeau fit sourire Télémaque.

- Il passa des mois à profiter de mon corps et, une fois qu'il eut semé une graine en moi, il m'ordonna de transformer son équipage à nouveau et il reprit la mer.
- Tu veux dire que...
- Oui Télémaque. J'ai eu un enfant avec ton père. Un garçon. Mais ce n'est pas le seul enfant que ton père a eu. Il a continué son voyage et a usé de son charme sur des milliers de femmes et également... d'hommes. La semence d'Ulysse s'est retrouvé partout en Grèce. Après cela, je ne l'ai revu qu'une seule fois. C'était à la naissance de ton frère. J'étais seule sur mon île, mon père veillant sur moi depuis le ciel en train d'accoucher d'un horrible et bruyant petit garçon. Ulysse est arrivé sur son bateau toute voile au vent, et fut ravi de voir que j'avais donné naissance à un garçon. Il le posa dans un landau et vint me voir. J'étais à bout de force et je pensais qu'il allait faire quelque chose de cet enfant, l'emmener avec lui, m'emmener aussi peut-être. Il n'en fit rien. Il me prit encore et encore pendant une journée et une nuit, les larmes ne pouvant même plus couler le long de mes joues. Il affirmait que c'était ainsi qu'il me remerciait de lui avoir offert un fils. Après cela, il a continué son horrible périple pour revenir auprès de ta mère en homme innocent, des années après. Malgré tout cela, il est le seul homme à résister à ma magie. Je ne peux donc que l'aimer.
- Sacré récit. Je ne pensais pas que mon père... faisait ce genre de chose.
- On ne peut le blâmer. Ce n'est pas un viol, j'étais toute ouverte à lui. J'avais juste rêvé d'autre chose.
- Mais il était déjà marié. Qu'est-il advenu de ton enfant ?
- Il est mort. De ma main.

Le corps de Circé recula.

- Quoi ?
- Je ne pouvais garder un souvenir aussi honteux près de moi. Je lui ai donc ôté la vie, détruisant tous mes liens avec le héros Ulysse.

Télémaque réfléchit un instant. Il se tourna et d'une voix plus douce, aborda Circé.

- C'est après mon père que tu as commencé à détester les hommes n'est-ce pas ?
- Et maintenant j'en suis un... quelle ironie.

Il rigola. Elle également et il lui poussa gentiment l'épaule.

- Ne t'en fais pas magicienne. Je trouverais une solution à notre problème. Et je ne t'embêterais plus sous la douche après cette histoire.

Elle leva ses yeux vert sur lui avant de réaliser ses propos. Il était dans son corps à elle désormais, ce qui voulait dire qu'il aurait tout le loisir du monde d'en profiter sous la douche. Elle rougit et ses yeux virèrent au jaune.

- Télémaque!

Il ria de bon cœur avant de lui tendre une brochette. Cette drôle de situation semblait pourtant bien fonctionner entre eux deux. Après tout, la chaîne était assez desserré désormais pour qu'ils se trouvent dans deux pièces différentes d'une maison.

À Circé, deux millénaires trop tardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant