Chapitre III

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Une fois dans l'appartement de Circé, cette dernière fut à nouveau traînée contre son gré dans toutes les pieces de la maison. Il admira la simplicité des murs de pierre, les sculptures de marbre et tout autre objet avec détail. Il ne s'arrêta qu'une fois dans la pièce à vivre, pour observer une statue d'homme en pierre particulièrement réaliste. Ne pouvant résister à la tentation, il essaya de poser ses mains sur le visage figé. Circé était boudeuse derrière lui mais, dans un instinct de détresse, se tourna au dernier moment pour stopper son geste.
Elle gifla sa main violemment et s'interposa entre la statue et Télémaque.

- Ne le touche pas!
- Ça va ça va! Cesse les hostilités. Tu ne devrais pas le laisser dans ton salon si on ne peut pas toucher.
- Quel idiot cherche à toucher des... œuvres d'art ?
- C'est qu'il est si réaliste...
- C'est parce que c'est un vrai.

A ces mots, le jeune héros s'écarta dans un petit cri peu viril. Circé rigola et reprit avec plus d'assurance.

- C'est un cadeau de Méduse. Juste après avoir été maudite par cette vielle bique d'Héra, Méduse m'a dit qu'elle m'offrirait un homme, de mon choix, qu'elle transformerait en pierre pour moi. Ainsi, même en étant seule pour l'éternité, il serait là avec moi.
- Et qui est cet homme ?

Le regard de Circé s'embruma. Elle sembla soudain nostalgique et douce.

- Une de mes ancienne proie...
- Il a l'air d'avoir de l'importance pour toi si tu l'as choisi.

Elle se renfrogna à nouveau et tourna les talons vers sa cuisine.

- Dinons. Je déteste réfléchir le ventre vide.
- Chouette, j'adore cuisiner!
- Non toi, tu restes hors de mon chemin. Je suis chez moi, je cuisine. Tu risques de brûler quelque chose.

Il n'ajouta rien, pas mécontent d'avoir un toit pour la nuit. Mais en voyant Circé préparer le dîner, il ravala sa salive à plusieurs reprises, et reprit le débat sur qui devait faire à manger. En effet, elle usait de ses pouvoirs pour flamber les poêles, plumait un drôle d'oiseau qu'elle avait sorti d'on ne sait où, et coupait ce dernier comme s'il s'agissait de la déesse qui l'avait maudit.

- Veux-tu cesser de t'en prendre à cette bête ? Je croyais que tu aimais les animaux.
- Pas nécessairement ceux que je mange.
- Tu pourrais quand même cuisiner plus délicatement. Tu as peur que je mette le feu à ta cuisine alors qu'on dirait que tu prépare un feu d'artifice sanglant.
- Je n'ai rien à me reprocher. Je fais comme ça depuis la nuit des temps.
- C'est bien ce que je dis. Il serait peut-être temps de te mettre à la page.

Ils échangèrent des regards plein d'éclairs et Mac tenta d'attraper le couteau.

- Fais moi confiance. Déjà parce que nos poignets sont si proche que tu ne peux rien faire correctement, mais aussi parce que si tu le fais, la chaîne se desserrera un peu et on pourra donc manger plus en paix.
- Tu as raison pour cette fois, homme.
- Ne nous met pas tous dans le même panier.

Elle haussa les épaules. Elle avait vu bien assez d'hommes malhonnêtes pour se permettre de les mettre « dans le même panier » comme Télémaque disait. Mais elle lui fournit tout de même le couteau, chose drôlement intriguante à faire lorsqu'on se trouve en présence d'un potentiel ennemi, et la chaîne se desserra pour confirmer les propos du jeune homme. Il put couper sans souci le canard ou quelque volaille que c'était, avec délicatesse et l'assaisonna ensuite.
Cette légère cohabitation restait tout de même bancale. Aucun des deux n'avait prononcé un seul mot depuis l'échange du couteau, et à chaque mouvement qu'ils souhaitaient effectuer, un coude rentrait dans un autre, une tempe se cognait sur une épaule, et un bras était tiré d'un côté ou de l'autre de la table.
Le dîner fut finalement préparé et tous deux s'installèrent. Il semblerait que leur silence ait été bon signe divin puisque la distance totale de la chaîne leur permettait alors de dîner en face à face.

À Circé, deux millénaires trop tardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant