Chapitre 9 - Mac

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Dehors, l'air froid est encore empreint de fumée, l'odeur de la chair brûlée et du plastique fondu parviennent encore jusqu'ici. Combien sont morts aujourd'hui ? Jamais conflit pareil n'avait eu lieu dans notre cité, du moins pas à ma connaissance. Les pertes humaines sont de plus en plus nombreuses. Restera-t-il quelqu'un pour parler de nous, une fois que tout cela sera terminé ?

               En revenant des toilettes, je m'arrête un instant et m'appuie contre un mur pour regarder les étoiles. Il y a quelques mois à peine je faisais la même chose à plusieurs heures d'ici. Pourrais-je encore le faire demain ? La semaine prochaine ? Je ne parviens même plus à imaginer un « après ». Je soupire.

               Des bruits de pas raisonnent derrière moi. Je me retourne vivement, portant la main à ma ceinture. Déjà le holster est déboutonné et j'ai le doigt sur la gâchette de mon arme. Sur le qui-vive, j'attends, plaqué contre le mur. Un jeune homme me dépasse. Comme un papillon de nuit, il semble attiré par la lumière qui émerge de la cantine. Il s'y dirige d'un pas mécanique. Complètement absorbé par sa tâche, il ne me voit même pas. Je l'attrape par la manche. Dans la pénombre, je parviens à discerner les couleurs de son habit. Suis-je vraiment étonné en reconnaissant les couleurs d'Acragas ?

               « Que fais-tu là ? je lance au garçon, toujours prêt à dégainer au moindre geste suspect. »

               Ce n'est qu'un gamin, me dis-je. Un foutu gamin qui n'a rien demandé à personne et qui se retrouve envoyé dans le camp ennemi en pleine nuit, après un massacre qui a tué certainement plusieurs dizaines des siens. Veulent-ils le faire tuer ?

               « Que fais-tu là ? je répète, en tirant sur la manche de l'adolescent. Tu cherches quoi ?

               - J'ai un message, répond-t-il simplement. »

               Son visage est blanc, livide. Ses joues sont creuses comme s'il n'avait pas mangé depuis des jours, peut-être est-il malade ? Ses vêtements déjà amples flottent complètement sur son torse et ses hanches. Une sorte de ceinture en tissu grossièrement découpé vient retenir son pantalon à sa taille.

               « Suis-moi. »

               Il n'esquisse aucun mouvement lorsque je le lâche, ne bouge pas la tête pour acquiescer, il attend simplement que j'ouvre la voie pour me suivre. Il avance tête baissée, tandis que moi je me demande comment annoncer sa venue à tous ceux qui se trouvent là-bas. Plus encore, c'est la peur qui m'envahie. Je garde la main sur mon arme. Seuls quelques mètres nous séparent de la cantine. Le temps de les traverser, je m'imagine bien une dizaine de manières de tuer ce gamin pour qu'il ne délivre jamais son message. Une balle en pleine tête, juste entre les deux yeux, ferait parfaitement le travail. A le voir si frêle, il est évident que ce gamin n'a aucune force. Je pourrais très bien l'attraper et lui cogner la tête contre le béton. Là, mort comme un chien sur le sol. Je me vois l'étrangler, lui trancher la gorge avec le couteau qui se trouve attaché à ma cuisse, le traîner sur le champ de bataille et le battre à mort pour que jamais personne ne sache ce qui lui est arrivé. Mais nous arrivons à la cantine, et je n'ai rien fait. Et bientôt, la bulle éclatera à nouveau.

               Cassie est la première à nous voir arriver. Le garçon, resté derrière moi, finit par s'avancer à mon niveau. Finch réagit aussitôt. Il commence à se lever, attrapant son arme. Le banc grince lorsqu'il se lève et grince à nouveau lorsqu'il se rassoit sous les ordres de Cassie. Le garçon d'Acragas garde la tête baissée. Là, à la lumière, il paraît encore plus pâle et maladif. Le tuer aurait été si facile, mais aurais-je pu le faire ? Nous sommes en guerre, après tout. Un goût de cuivre m'envahit la bouche, je me rends compte m'être mordu la langue si fort que je me la suis coupée avec les dents. Je ravale mon sang et, avec, fait disparaître toutes ces pensées atroces qui m'occupent la tête.

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