Chapitre 11 - Mac

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Je n'ai plus la force.

C'est un constat simple, certes, mais surtout terrifiant. Car, oui, je n'ai plus la force : ni de marcher, ni de sourire, ni d'affronter les gens. J'en viens à éviter Cassie, alors qu'elle a besoin de moi. Je ne trouve pas les mots. Je n'ai plus la force de m'exprimer, je l'ai trop fait ces derniers temps. Et tout ce que j'ai dit, tous les mots que j'ai pu prononcer, ça n'a été que pour donner des mauvaises nouvelles.

Je n'ai plus la force de penser, de réfléchir, non plus. Pourtant, je ne peux m'en empêcher. Et c'est épuisant. Mon cerveau est assailli de questions. Par exemple : que sont devenues toutes ces femmes parties à Acragas ? Ont-elles été tuées ? Sont-elles captives ? Vivent-elles normalement ? Ou bien encore : combien de temps allons-nous rester ici ? Sommes-nous désormais tous des habitants de la Société ? Comment allons-nous faire pour nous intégrer et nous créer une vie parmi ces gens à qui nous avons retiré des membres de la famille, des amis, à cause d'une guerre que nous avons fini par perdre ?

Toutes ces questions tournent en boucle dans ma tête, ne me laissant aucun instant de répit. Le jour, la nuit, ça ne fait aucune différence. Je ne dors plus, ou très mal. Je me traîne dans la Société, parce qu'il faut que je sorte, parce qu'il faut que je me montre, parce que je suis censé être la force de ce qui reste du Nouveau Système. Mais je n'ai plus la force. Comment faire semblant d'aller bien quand tout s'effondre autour de soi ? Voilà la question essentielle, la plus obsédante, celle dont la réponse est la plus cruciale à mes yeux.

Je ne suis plus un homme. Je ne suis plus que deux bras, deux jambes et une tête, l'avatar de ce que j'étais avant. Pourquoi ? Quand redeviendrai-je moi-même ? Pourrais-je un jour redevenir celui dont mes camarades ont besoin ? Celui dont est tombée amoureuse Cassie ? Aurais-je au moins la force de me reconstruire, d'ajouter une âme à ce corps ?

Et puis, il y a ce nom, ce nom qu'on nous donne depuis que nous sommes arrivés ici. Ce nom que j'exècre, qui me donne la nausée, parce qu'il représente exactement ce contre quoi nous nous sommes tous battus. On nous appelle « les réfugiés ». À chaque fois que ce nom m'est donné, je retiens une forte envie de vomir. Mais j'essaie de suivre les conseils de Cassie. Elle ne cesse de me dire que ce n'est rien, que tout cela fait partie de notre histoire, de notre passé, mais que c'est à nous de construire un nouveau sens à ce mot, une nouvelle histoire, bien différente de la première. Alors j'essaie, j'essaie de tout cœur, je fais tout pour mettre le passé derrière moi.

Si le passé est révolu, il en reste pourtant une habitude, une constante dans ma vie ici : cette barrière, loin de toute l'effervescence de la cité, à la nuit tombée, sous les étoiles. Il n'y a qu'à cet endroit, alors que je suis seul, que je peux mettre mon cerveau sur pause. Plus rien n'existe, en dehors de l'immensité du ciel. Je me mets parfois à rêver de ce qui se trouve là-haut, parmi les étoiles. J'aimerais tant être sur une autre planète, dans un autre monde, juste l'espace d'un instant, pour me retrouver, me ressourcer, et recouvrer des forces. Je reviendrais alors ici, sur Terre, et j'affronterai la réalité des faits avec Cassie et tous les autres. Je pourrais redevenir cette force dont tout le monde a besoin.

Mais je dois me rendre à l'évidence, il n'y a pas d'autre planète. Il n'y a pas d'alternative. Il y a seulement l'avenir, le futur, et c'est pour ça que je dois me relever. Mais pas tout de suite, non, pour l'instant, je regarde encore un peu les étoiles.

Les points lumineux dans le ciel noir dansent sous mes yeux. J'apprécie le spectacle de l'univers.

« Encore là ? »

Je n'ai pas besoin de me retourner ou de bouger la tête pour savoir qui vient d'arriver. Tatiana s'installe à mes côtés sur la barrière. Je lui fais un peu de place. Elle pose une main sur mon bras.

Le Refuge - RenaissanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant