22. Noraland, popcorn sucré et comédie romantique

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Nora

Sunnycreek, Caroline du Sud, mercredi 24 octobre 2014.

Quand j'étais enfant, le jour de mon anniversaire était pour moi comme un deuxième Noël. Ma mère venait me réveiller à minuit avec un cupcake spécial qu'Agatha ne réalisait qu'en mon honneur. Elle l'avait baptisé Noraland pour Nora Sweetland. L'année dernière, il était au chocolat cœur de caramel avec un glaçage au nougat sur lequel trônaient des morceaux de céréales en forme de chiots, vraiment trop mignons. Et puis nous restions éveillées toutes les deux à regarder des films romantiques jusqu'au petit matin. J'avais droit à un brunch royal à base de gaufres, de montagnes de pancakes accompagnées de sirop d'érable et de myrtilles, de mini-hamburgers et de tranches de bacon bien grasses. J'étais la princesse de la journée, mon père achetait de la déco qui me plaisait et faisait en sorte que chaque coin de la maison me rappelle mon anniversaire. Autant dire que j'attendais ce jour comme une goutte de pluie en pleine sécheresse. Mais aujourd'hui, tout cela n'avait plus la même saveur.

Après avoir dégusté sans grand enthousiasme mon cupcake – vanille cœur de framboise, glaçage fraise, vermicelles rose et rouge en forme de licorne – et visionné avec ma mère 27 robes, Miss Campus et quelques épisodes de la série Awkward, je m'étais réveillée mécaniquement et avais mangé quelques tranches de bacon qui m'avaient paru aussi fades que mon humeur de la journée. J'avais joué à Mario Kart avec mes frères sans jamais me vanter d'être arrivée la première à chaque course, et passé l'après-midi avec Jake et Tammy à Goose Creek.

Tous les efforts que mon entourage faisait pour me rendre heureuse ce jour-là n'avaient pas suffi. Je me sentais terriblement vide, et sursautais avec un mélange d'appréhension et de joie à chaque fois que retentissait la sonnette. Mais au fond, je savais aussi qu'il ne viendrait jamais. Savait-il seulement qu'aujourd'hui était mon anniversaire ? Le lendemain de son départ, Logan s'était aussi évaporé.

Ce que je souhaitais plus que tout au monde à cet instant, c'était qu'il réapparaisse, lui et son sourire sarcastique. Qu'il me dise que j'étais mignonne dans ma robe à motifs bonbons, et qu'il me propose une virée, n'importe où. Qu'on roule sans savoir où aller. Qu'on tombe sur un recoin secret et paradisiaque à l'abri des regards. À la place, cette journée n'était qu'attente et faux espoirs.

Je n'avais qu'une envie : me plonger sous la couette avec un grand bol de popcorn sucré, regarder encore et encore ces comédies romantiques mensongères, et surtout ne parler à personne. Mais je ne pouvais pas, cela rendrait mes parents tristes, et moi encore plus triste par la même occasion. Alors je plaquai un sourire sur mon visage, un masque invisible que je retirerais à la fin de journée.

Jusqu'à ce que vers 19 h 30, la sonnette retentisse une ultime fois. Il s'agissait probablement d'un énième habitant de Sunnycreek venant me réconforter, un cadeau dans les bras, en accusant Grayson d'être un petit voyou mal élevé. Mais lorsque ma mère, à la fois lasse et enjouée (pour me faire plaisir, surtout) ouvrit la porte, ce fut Bo qui déboula dans le vestibule, essoufflé et tout excité. Malgré ses mouvements beaucoup trop rapides pour l'œil humain, je réussis à distinguer un petit paquet cadeau attaché à son collier.

Je me figeai. J'avais fini par apprendre qu'il avait l'habitude de traîner avec Bo, que c'était son compagnon de balades nocturnes. Qu'il n'était pas avec Marcie à chaque fois qu'il désertait sa chambre. Attendait-il sur la terrasse que je daigne sortir ? Je ne pris même pas la peine d'ouvrir le cadeau et me précipitai dehors.

L'air était doux, les étoiles scintillaient et le parfum du jasmin embaumait le jardin. Minouche s'était lovée sous l'érable rouge flamboyant dans l'obscurité. Mais aucun signe de Grayson. J'entendis ma mère saluer Bo, et lui vider quelques croquettes dans la gamelle qui appartenait autrefois au chien errant que Mike avait ramené à la maison. Mais je ne rentrai pas. À la place, je me mis à courir. À courir jusqu'à en perdre haleine.

La ville était dans un de ces jours normaux où chacun faisait sa besogne. Je n'avais pas le temps de guetter la réaction des habitants. Les lumières étaient encore allumées, l'orchestre de la ville s'entraînait en repassant encore et toujours la même mélodie, et sans m'en rendre compte, j'étais devant chez Mme Newton.

Trois petits coups sur la porte et elle s'ouvrirait sur...

Mme Newton. Logique, c'est sa maison.

— Oh, bonsoir, Nora. Je me doutais que tu viendrais me rendre visite ce soir. Viens, entre.

Des cupcakes à la myrtille et un verre de milkshake vanille-fraise m'attendaient déjà sur la table basse. Cela faisait longtemps que je n'étais pas venue ici. La maison n'avait pas changé d'un poil. Papier peint bleu ciel et fleuri, mobilier en noyer et étagères remplies de boules à neige de toutes sortes. Le parfum à la rose de Mme Newton se répandait derrière elle et me rappelait l'odeur caractéristique de la maison.

— Il n'est pas là, n'est-ce pas ?

— Non, je suis désolée.

— Alors le cadeau vient de vous ? Mais je ne comprends pas... Vous êtes déjà passée ce matin.

— En fait, le cadeau est de lui. Il vient de Grayson.

Mon estomac se tordit en entendant son prénom. Allait-il surgir de nulle part et s'écrier « surprise » ? Après quelques minutes d'hésitation, Mme Newton reprit :

— Il y a une semaine, il m'a demandé de le garder et m'a raconté ce qu'il prévoyait de faire. Je me suis dit que tu méritais d'avoir un petit bout de ce qu'il t'avait préparé.

Grayson était le seul capable de briser mon cœur, pour mieux le réparer, puis le piétiner à nouveau ensuite. Je ne savais pas si je devais être heureuse qu'il m'ait organisé tout ceci alors qu'il brillait par son absence. 

 

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