17. Bo, du poulet de ce midi et un vieux crouton

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Grayson 

Sunnycreek, Caroline du Sud, samedi 14 septembre, 20 h 30.

Bon sang. Nora venait de quitter la maison en claquant la porte. Il fallait croire que mon pouvoir de persuasion ainsi que mon sex-appeal ne fonctionnaient pas si bien que ça. Cela me tuait d'imaginer qu'elle allait passer la nuit avec ce blondinet qui ne faisait que lui mentir. Qu'elle était naïve. Je laissai en plan ma préparation – je n'avais plus très faim –, saisis mon blouson et sortis à mon tour. L'air était frais ce soir. La ville était calme. Ce qui était assez rare. Cette petite ville farfelue ne passait habituellement pas une seule soirée sans un événement quelconque. Cela pouvait aller d'un concert sur la grand' place à une soirée karaoké au Tucker Band. Nora y allait souvent avec sa meilleure amie. Je ne m'y étais jamais rendu, mais j'étais persuadé, à son grain de voix à la fois enfantin et rauque, qu'elle chantait bien. Cela s'entendait quand elle parlait. Stella m'avait toujours dit que j'avais un don pour reconnaître les chanteurs.

Je me rendis sur la grand' place, cherchant des yeux mon grand compagnon à quatre pattes. J'avais pris l'habitude, avec l'accord de Mme Newton, de me balader avec Bo les soirs où je n'avais pas envie de rester entre les quatre murs de ma chambre. Lorsqu'il m'aperçut, Bo se précipita vers moi et me léchouilla la joue. Beurk, sale cabot. Je m'essuyai du revers de la main en caressant le bout de son crâne.

— Hé, comment ça va, mon beau ?

Il me répondit par plusieurs aboiements. Il était mon seul ami ici. Depuis que je passais du temps avec lui, Mme Newton était devenue complètement folle de moi. Elle m'invitait souvent chez elle et me servait ses vieux cupcakes à la myrtille rassis. Je n'avais jamais osé lui dire qu'ils étaient immondes. Heureusement, je faisais descendre le tout avec son milkshake vanille-fraise.

Ernie feignait une grande colère noire quand je lui rendais visite avec Bo. Et aujourd'hui n'était pas l'exception.

— Tu m'as encore amené le sale cabot ! ronchonna-t-il en grattant toutefois le ventre de celui-ci. Où est ma cigarette ?

— Je t'avais pourtant dit que c'était la dernière, l'autre fois. Tu devrais arrêter de fumer, regarde-toi, on dirait un vieux croûton.

— On en parlera quand tu seras vieux.

— C'est pas toi qui citais Franz Kafka l'autre jour ?

— C'est qui celui-là ? grogna-t-il.

— « Le bonheur supprime la vieillesse », ça te rappelle quelque chose ?

— Tu es vraiment un sale faux jeton. J'avais juste lu ça dans un magazine.

— Parce que tu sais lire, toi ?

— Fiche le camp d'ici.

— Nora est partie dormir chez Jake. Je déteste cet abruti.

Bo me regardait avec un air de chien battu, la langue pendue.

— Tu as de quoi nourrir le clebs ?

— Hé, je suis pas ta boniche, va voir dans le frigo. Et pour te répondre, je trouve que c'est un chic type. Il a toujours été sympa avec moi. Tu n'as qu'à cesser de te pavaner avec cette Marcie, acheva-t-il en grimaçant.

— T'es pas censé être de mon côté, vieillard ? maugréai-je en me dirigeant vers le frigo.

Cette maison était un vrai taudis, si je ne devais pas partir un jour ou l'autre, je l'aurais clairement retapée.

— Tais-toi et amène-moi une bière.

Je ne pus m'empêcher de sourire. Il n'y avait pas la moindre trace de bière dans le réfrigérateur. Même si je ne l'avais pas beaucoup connu dans sa période d'alcoolique invétéré, j'étais vraiment content qu'il ait arrêté de boire. À la place, je lui pris une bouteille d'eau. Je repérai également des restes de viande dans une petite barquette en carton. Cela devrait faire l'affaire pour Bo.

Before we collideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant