Before we collide

3. Défilé, baignade nocturne et concours de tee-shirt mouillé

Sunnycreek, Caroline du Sud, dimanche 24 août 2014, 16h20.

Le défilé s'était inévitablement achevé avec la victoire de Marcie Miller. Elle avait affiché un air surpris encore plus faux que lorsque mon père se mettait à chanter. Ma mère lui avait remis son trophée avec une réticence à peine dissimulée. Comme mon père l'avait prédit plus tôt dans la journée, Tammy et moi avions décroché la deuxième place. Mais nous la considérions comme la première. La troisième place revint à Tracy, la coiffeuse de la ville. C'était par ailleurs dans son salon, le Caract'hair, que se colportaient la plupart des ragots. Mike, Noah, Tammy et moi avions défilé sur notre char, acclamés par les habitants et dansant sur le rythme endiablé de la musique. J'avais bien évidemment proposé à Grayson de monter sur le char avec nous, mais celui-ci avait décliné très poliment : « Hors de question, je vous ai déjà aidées à décorer votre stupide charrette, ne m'en demandez pas trop. Et puis, c'est pour célébrer quoi cette mascarade ridicule ? »

Pouvait-il prononcer une seule phrase sans être insultant ? Il était resté assis, avachi même, sur les marches du kiosque trônant au centre de la grand' place. Son regard n'avait laissé paraître aucune espèce de sentiment, même devant un événement aussi festif et plein d'entrain que la parade annuelle de Sunnycreek. De mémoire d'homme, jamais la ville n'avait laissé si indifférent. Au contraire, elle grouillait de touristes émerveillés jusqu'à la mi-août.

À mon grand désespoir, Mike et Noah avaient sauté de joie quand ils avaient appris la nouvelle de son installation chez nous. C'était le grand frère cool qu'ils n'avaient jamais eu. Traîtres. Depuis son arrivée tôt le matin, même s'il était resté froid et distant en toutes circonstances, Grayson s'était adonné très facilement à des parties de jeux vidéo avec mes petits frères. Le débit de parole insensé de Mike ainsi que sa voix fluette n'avaient pas semblé le gêner, il s'était contenté de l'ignorer. En réponse aux explications scientifiques et techniques de Noah, il avait répondu par des « c'est cool », « nickel », placés au bon moment. En résumé, Grayson avait été rapidement adopté par tous les membres de la famille.

Que dis-je, par tous les habitants de Sunnycreek. La ville semblait être tombée sous son charme en à peine une journée. Ce qui n'était pas très étonnant. Il était venu nous aider à préparer le char, torse nu, offrant un spectacle qui avait marqué le coup. La sueur perlait déjà sur son torse et ses boucles noires, collées à son front, étaient humides. Lorsqu'il avait franchi la porte d'entrée, Tammy avait tourné discrètement la tête vers moi et avait articulé silencieusement les lettres « O », « M », « G », pour ensuite rester bouche bée – elle aurait très bien pu gober une mouche. Et à cette période de l'année, on pouvait dire que Sunnycreek ne manquait pas de mouches, surtout près des poubelles du Tucker Band.

Grayson ainsi dévêtu, toute la ville avait pu apprécier les tatouages qui recouvraient sa peau hâlée (chose que nous n'avions pas pu voir plus tôt dans la journée à cause de sa grosse veste en cuir). Il avait une ancre dans le cou, entourée et léchée par des flammes, ainsi que des ailes d'ange qui partaient du milieu de son dos pour s'ouvrir jusqu'à ses triceps. Et bien d'autres symboles que je n'arrivais pas encore à déchiffrer. Ils envahissaient ses avant-bras et ses phalanges. Et même si Penny, Maria et Jenna, nos commères, disaient à qui voulait l'entendre qu'il provenait très certainement d'un gang – j'étais prête à le parier aussi – toutes les femmes de Sunnycreek semblaient comme hypnotisées au passage de ce grand adolescent aux airs ténébreux. Grayson était la nouvelle attraction de la ville. Ridicule.

Et Jake était aux abonnés absents.

Chaque année, ça avait toujours été Tammy, Jake, mes frères et moi sur le char, mais ce jour-là, il avait décidé de monter sur celui de Marcie, en compagnie de Tessa, et m'avait, enfin, nous avait complètement ignorées. Fidèle à son caractère de cochon, Tammy n'avait cessé de le fusiller du regard, mais elle refusait de faire le premier pas.