24. Petit canard de bain, lavande et poil à gratter

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Sunnycreek, Caroline du Sud, dimanche 8 février 2015, 7h30.

Avant l'épreuve de la fête de la Pêche Juteuse se déroulait toujours celle du Bric à Brac de Sunnycreek. Je ne savais pas très bien lequel de ces deux événements était le pire pour moi. Voir des couples s'aspirer les lèvres et puer l'amour ou me débarrasser des affaires « dont je ne me servais plus », selon ma mère. Or, je me servais encore et toujours de toutes mes affaires, je finissais toujours par leur trouver une utilité quelconque. Comme mon petit canard de bain (à qui il manquait un œil) que mon grand-père m'avait acheté, auquel j'avais accroché un anneau pour en faire un porte-clé. Même s'il était plus marron que jaune à présent, il avait un sacré cachet. Personne ne pouvait se vanter d'avoir le même porte-clé que moi. Mais... « c'est pour la bonne cause, Nora, tu dois te débarrasser de ces vieilleries ». Comme à l'accoutumée, il était environ 7 h 30 lorsque Tammy sonna à la porte avec un gigantesque pot de glace vanille-cookie de chez Agatha. Rien de tel qu'une bonne dose de crème glacée bien trop sucrée pour attaquer cette dure journée et faire face à la dépression qu'elle provoquait fatalement.

— Alors, prête à te déposséder de ton âme ?

— Non, boudai-je en m'affalant sur lit où jonchaient divers bidules chouettes.

— C'est toujours la même rengaine avec toi. Allez, lève-toi, on va te remplir ton carton à donner avant que Liz Sweetland ne perde la boule.

— Et toi, il est où le tien, d'abord ?

— Prêt depuis hier soir, alors hop hop hop.

Le point positif du Bric à Brac était que je retrouvais souvent de vieilles affaires que je croyais perdues à jamais, mais la plupart du temps, Tammy me forçait la main pour les donner. Ces objets étaient mis en vente sur la grand' place pour pas un sou, et l'argent servait à rénover le lycée, les ponts, ou encore les vieilles routes cabossées de la ville. Lorsque j'étais à l'école élémentaire, je partais souvent à la chasse de ceux qui avaient acheté mes affaires pour tenter de marchander et de les récupérer. Maman finissait par me passer un savon et par rendre ce que j'avais pourtant repris de droit. Heureusement, Tammy savait qu'il y avait une boîte spéciale à ne surtout pas toucher ni même à évoquer en ce jour sombre. Je l'appelais La tête de Nora. Cette véritable mine d'or regorgeait de vieux tickets de cinéma, de tickets de métro de New-York datant de l'unique fois où j'étais allée avec mes parents, de mots d'amour reçus/non-envoyés (par manque de courage) en classe, de tickets du Globe de Shakespeare ou de Mme Tussauds achetés lors de mon voyage scolaire à Londres en troisième, ou des tickets d'attractions de la fête foraine de Sunnycreek. J'y avais même mis une ancienne photo jaunie de Nick Jonas, et un cliché de Danny Mcmillan que j'avais pris secrètement. Sans compter les invitations à tous les anniversaires et les nombreux pence que je gardais. Il me faudrait bientôt une plus grosse boîte. C'est dire à quel point j'aimais tout conserver, j'y avais ajouté la facture du motel dans lequel nous avions dormi, Grayson et moi, nos reçus du restaurant rétro, et le ruban de notre statue, à Tammy et moi, pour la chasse au trésor. Ceci résumait ma vie ces derniers mois. En fait, ces derniers mois, ma vie se résumait à Grayson Jacobs.

— Hum, pourquoi tu as encore ce truc ?

Tammy tenait le tee-shirt que m'avait prêté Grayson cette fameuse nuit, et que j'avais clandestinement gardé dans ma penderie.

— J'espère que tu avais oublié qu'il était là et que tu comptais le donner aux bonnes œuvres ?

— Evidemment, duh.

Sans trop de ferveur pour ne pas éveiller les soupçons, je le récupérai des mains de Tammy, puis, lorsqu'elle sortit de ma chambre pour aller embêter Noah, je le remis à sa juste place.

Before we collideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant